Mais lâchez-nous avec vos start-up !

Plus un seul article dans un journal, plus un seul reportage, plus une seule interview du ministre de l’économie sans qu’on nous ne parle de start-up. Devant les nombreuses difficultés auxquelles nos économies sont confrontées, celles-ci semblent être devenues la solution miracle qui va nous permettre de réenchanter le travail, de nous libérer d’un modèle social dépassé, d’atteindre le plein emploi et de rétablir les comptes publics. Depuis 2012 au moins, le gouvernement multiplie les initiatives, souvent de façon brouillonne d’ailleurs, pour que les start-up et les entreprises innovantes se développent au maximum de leurs possibilités. Assises de l’entrepreneuriat, Nouvelle Donne pour l’innovation, Initiative French-Tech, … on ne compte plus les incitations à moderniser notre économie en nous appuyant sur cet ingrédient magique, la « start-up ».

L’effervescence actuelle semble en partie causée par le retard de la France face aux enjeux du numérique. Comme d’habitude, nous nous y sommes pris très tard et nous faisons feu de tout bois pour essayer de parvenir au niveau des autres pays. Au risque d’en faire (beaucoup) trop.

Ancienne sous-ministre à l'économie numérique et aux start-up
Fleur Pellerin, ancienne secrétaire d’état à l’économie numérique

Dans un discours prononcé en 2014, Fleur Pellerin, la sous-ministre à l’économie numérique adulée des startupers, présentait une série de réformes sur le financement participatif des start-up (cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Financement_participatif). Manifestement plus à sa place et plus à l’aise dans son rôle de l’époque que dans le costume de Malraux à la culture (on se souviendra de cette interview édifiante : http://www.lefigaro.fr/culture/2014/12/11/03004-20141211ARTFIG00256-fleur-pellerin-je-ne-suis-pas-payee-pour-lire-des-livres.php), elle conclut ainsi son intervention sur les nouvelles règles techniques mises en place pour favoriser le « crowdfunding » : « Les valeurs qui fondent cette réforme, l’innovation, la confiance, l’inclusion, sont essentielles. Ce sont les valeurs de la « start-up république » dans laquelle la dynamique du financement participatif prend tout son sens ». L’ambition serait donc de réformer le pays de fond en comble, d’en faire une énorme start-up. Les mots n’ayant plus beaucoup d’importance, il s’agit principalement bien sûr de communication et d’un slogan basé sur ce qui semble presque être un oxymore.

Transformer l’Hexagone en « Start-up République » : telle est l’ambition qui anime désormais le gouvernement. Pour y parvenir, Bpifrance va jouer un rôle central.

Paul-François Fournier, directeur de l’Innovation de BpiFrance.

Tout cela ne serait pas très important si ce genre de slogans n’avait pas envahi progressivement toutes les sphères de l’état et de ses satellites, compensant par les mots une capacité de moins en moins forte à agir sur la réalité. Bon au-delà de l’hystérie qui nous frappe, à quoi rime tout ce ramdam autour des start-up ?

Start-up, ça ne veut rien dire !

C’est quoi au juste une start-up ? A vrai dire, une vague définition existe : « la startup (ou jeune pousse) est une jeune entreprise à fort potentiel de croissance et qui fait la plupart du temps l’objet de levée de fonds »(source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Startup). Le problème c’est que cette définition ne permet aucun traitement statistique. Dans le cas des entreprises en création qui sont encore en phase de développement de leurs produits, on parle également parfois de start-up. Ces entreprises en construction n’ont pas encore lancé leurs produits sur le marché commercial (ou alors seulement à titre expérimental ou bien en MVP (cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_minimum_viable). Elles sont en phase plus ou moins longue de développement d’un produit, de test d’une idée, de validation d’une technologie ou d’un modèle économique. Le risque d’échec est supérieur aux entreprises traditionnelles du fait des petites tailles et du manque de visibilité de ces structures. Parfois même, on parle de start-up pour des entreprises qui ont déjà quelques années mais qui entrent dans une phase de croissance rapide.

D’autres vont considérer comme start-up toutes les entreprises du « numérique » (« digitales » comme le disent ceux qui cèdent à cet horrible anglicisme. Je rappelle ici que le terme « entreprise digitale » ne pourrait éventuellement s’appliquer qu’à une entreprise qui a la forme d’un doigt, ce qui est rare vous en conviendrez. Quand au terme « stratégie digitale », je n’ose imaginer le sujet auquel il se rapporte). D’autres encore vont y adjoindre toutes les entreprises qui se créent dans le domaine de la santé ou de la pharmacie. En bref, on est face à un objet un peu flou et le nombre de start-up est plus ou moins grand, selon la définition que l’on considère. Comme on ne sait pas exactement de quoi on parle, on peut dire n’importe quoi et alimenter les lieux-communs, ce que notre ministre de l’économie hésite rarement à faire.

Les jeunes ne veulent pas être fonctionnaires, ils veulent créer des start-up.

Emmanuel Macron, ministre de l’économie

Start-up, un nouvel eldorado ?

L’eldorado est cette contrée mythique située en Amérique du Sud qui a alimenté pendant quatre siècle une sanglante course au trésor débutée avec les conquistadors espagnols. Si les jeunes veulent « créer des start-up », ce n’est pas par altruisme mais simplement parce qu’ils veulent devenir riches rapidement. Au-delà des discours lénifiants véhiculés par les entreprises du numériques qui ont réussi (comme AirBnB ou Über qui prétendent « œuvrer pour rendre le monde meilleur »), ce qui fascine nombre de jeunes, ce sont les montants des rachats ou les capitalisations boursières de ces entreprises. Personne n’est dupe, les mercenaires de la nouvelle économie sont devenus des modèles pour nombres de jeunes (on pourra aussi voir cet article : Uberisation : le proft uber alles ?).

Les évolutions technologiques rendent possible l’intermédiation à un niveau jamais atteint auparavant. Même pour la simple présence en ligne, il est maintenant plus facile que jamais de créer son propre site web, sans expérience et avec un budget assez limité. Je rencontre beaucoup de créateurs de start-up et, malheureusement, je suis souvent désolé de me rendre compte que pour beaucoup d’entre eux, l’objectif est uniquement de créer une plate-forme d’intermédiation. Il s’agit de s’insérer dans les circuits économiques existants et d’apporter de la praticité aux partie-prenantes pour capter le maximum de valeur. Cela se passe forcément au détriment d’une ou de plusieurs des partie-prenantes et la start-up cherche a être rapidement suffisamment forte pour y parvenir (on utilise là-aussi un vocabulaire en partie mensonger où les parties-prenantes lésées sont des « partenaires » et les clients des « membres de la communauté »).

Les idées proviennent souvent de frustrations vécues dans la vie quotidienne (où est-ce que je perds du temps ? qu’est-ce qui m’agace régulièrement ?). Les plateformes web et l’internet des objets semblent alors une source inépuisable de nouvelles idées pour résoudre ces problèmes. Les « startupers » s’y engouffrent, dans un joyeux mouvement à la fois détendu et compétitif, cool et âpre au gain. La parodie ci-dessous de Karim Duval semble malheureusement parfois bien proche de la réalité.

Start-up : innovation ? disruption ?

La plupart des start-up qui ont réussi ont « disrupté » leur marché. Derrière cet autre anglicisme se cache l’idée qu’elle ont complètement revu la « chaine de valeur » du marché sur lequel elles opèrent. En clair, la valeur ajoutée créée tout au long de la production du service ne se répartit plus de la même façon. Elles ont « capté » une part de la valeur traditionnellement dirigée vers les acteurs économiques traditionnels. Parfois elles ont partiellement augmenté la taille du marché (par exemple Über a permis à des clients qui n’utilisaient pas régulièrement les services d’un taxi de bénéficier de ce service), parfois elles l’ont simplement « vampirisé ».

L’innovation disruptive se manifeste par un accès massif et simple à des produits et services auparavant peu accessibles ou coûteux. La disruption change un marché non pas avec un meilleur produit – c’est le rôle de l’innovation pure -, mais en l’ouvrant au plus grand nombre. On pourra se reporter aux travaux de Clayton Christensen et à cet article pour en savoir plus : L’innovation de rupture, c’est quoi ?. La plupart des start-up dont il est question ne sont donc pas à proprement parler innovantes. On peut même souligner le paradoxe qui consiste à vouloir créer sur notre territoire des « géants du numérique » dont on déplore par ailleurs l’extra-territorialité, surtout quand elles doivent s’acquitter de leurs impôts (voir cet article réagissant à la solidarité des GAFA après les attentats de Paris : Facebook, google, Apple, merci mais la solidarité c’est de payer ses impôts en France). On peut également souligner l’écart entre l’importance médiatique et la valeur capitalistique de ces entreprises d’une part et l’activité économique réelle qu’elles génèrent sur un territoire d’autre part.

Start-up : céder à l’hystérie ?

L'hystérie provoquée par les start-up et l'économie numérique est-elle justifiée ?
L’hystérie provoquée par les start-up et l’économie numérique et les start-up est-elle justifiée ?

Comment notre gouvernement réagit-il face à l’hystérie ambiante ? Et bien il l’alimente avec tout un tas de mesures dont la pertinence peut parfois sembler difficile à comprendre. Il suffit de prendre une des dernières initiatives pour s’en convaincre : la FrenchTech. Il s’agit de promouvoir à l’international la « marque France ». Initiative fort louable bien sûr qui vise à « fédérer » les start-up numériques derrière une marque visible et puissante. Initiative fort louable mais est-elle utile ? Über ou Facebook ont-t-il eu besoin d’une « AmericanTech » ? Comme ce fut le cas avec les pôles de compétitivité (voir aussi : Écosystèmes d’innovation, pourquoi ça foire ?), la France n’est pas parvenu à réfléchir son développement économique autrement que piloté par Paris. La technocratie qui peuple les ministères de l’économie ne sachant plus quoi inventer pour s’occuper et pour garder ses prérogatives face aux tentations décentralisatrices et aux volontés des régions, les initiatives se multiplient des deux côtés. Elles s’entrechoquent et aucune d’elles n’a réellement les moyens de réaliser les ambitions qu’elle affiche. Prenons par exemple la tentation de faire de la FrenchTech, à peine créée, un outil d’aménagement du territoire. Nous avions déjà récemment l’exemple des pôles de compétitivité. L’objectif de départ était de labelliser une dizaine de pôles français visibles à l’échelle internationale. Nous sommes vite arrivés, par le jeu des intérêts locaux et des tractations diverses, à plus de 70 pôles.

Les métropoles FrenchTech couvrent toute la France
Les métropoles FrenchTech couvrent toute la France

La FrenchTech s’est aussi attelée à labelliser les métropoles, pour en faire des « métropoles FrenchTech ». Pour ceux qui ne le savent pas, le « label » est un système dont s’est entiché l’État et qu’il utilise dorénavant à l’envie dans toutes ses politiques de développement économiques. En gros, il s’agit de désigner des dispositifs / structures / initiatives qui lui paraissent intéressants, sans pour autant devoir les financer. Une façon de garder un semblant de pouvoir quand la situation budgétaire devient critique. Quelles sont donc les « métropoles FrenchTech » qui ont été labellisées ? Paris, Lille, Lyon, Grenoble, Aix-Marseille, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, auxquelles se sont récemment ajoutées Brest (avec Morlaix, Quimper et Lannion), la Normandie (avec Rouen, Caen, Le Havre), la Lorraine (avec Metz, Nancy, Thionville, Epinal) et la Côte d’Azur (avec Nice, Grasse, Cannes et Sophia-Antipolis).

Tout une mécanique complexe pour finalement labelliser la quasi-totalité des métropoles françaises. Si le gouvernement souhaitait savoir où se trouvait les plus grandes agglomérations en France, une simple recherche internet aurait permis d’économiser du temps et de l’argent. Il est plus que vraisemblable qu’il s’agissait de « garder la main » sur un sujet qui lui paraissait important, de conserver un rôle de « chef d’orchestre » et d’obliger les collectivités à contribuer financièrement à ses politiques de développement économique.

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Start-up : garder la tête froide

Emmanuel Macron

Si l’économie numérique apporte évidemment son lot de nouvelles entreprises et d’innovation, il ne faut pas être dupe. Il ne s’agit pas de la Révolution Enchantée que l’on nous vend parfois. Elle apporte bien sur une souplesse, une réactivité et une praticité que nous n’aurions pu imaginer autrefois. Elle nous offre des services précieux et nous met facilement en contact avec les prestataires que nous cherchons. Mais elle nous promet également un nouveau prolétariat et une refonte totale de nos systèmes de solidarité. Les conditions de travail dans ou pour les grandes entreprises du numériques (Amazon, Über, …) ne sont pas toujours celles des privilégiés de Facebook. Déjà un américain sur trois est un travailleur indépendant et la tendance se poursuit.

Les jeunes Français doivent avoir envie de devenir milliardaires

Emmanuel Macron, ministre de l’économie

Notre pays doit se préparer à des modifications majeures de son rapport au travail et au salariat. C’est à cette tâche que devrait s’atteler nos dirigeants, plutôt que de tendre le miroir aux alouettes à toute une jeunesse qui se rêve milliardaire.

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