Quand on travaille comme moi depuis des années pour le développement économique, il est parfois difficile de faire la différence entre une mode passagère et une véritable révolution. Les fablabs, hackerspaces, livinglabs, biohacklabs et même museumlabs fleurissent sur tous les territoires et semblent remettre en cause profondément la façon dont les projets émergent et dont les gens travaillent ensemble. De façon apparemment contradictoire, l’autonomie et le travail collaboratif sont mis en avant dans chacune de ces initiatives. De plus, les considérations politiques sont souvent présentes et reprises par les collectivités locales (citoyenneté, stratégies de densification, de rétablissement de la proximité, du lien social, de la cohésion sociale, du développement économique et de la qualité d’un territoire). Si la pauvreté commence bien, selon le diagnostic de K. Marx, quant on est dépossédé de la propriété des moyens de production, la dimension politique des tendances actuelles apparait car on peut les analyser comme des tentatives, pour des citoyens seuls ou groupés, de se réapproprier les outils de production qu’ils ne possèdent plus (via l’impression 3D par exemple).
Mais qu’en est-il vraiment de cette « révolution » ?
La solution est-elle, comme on me l’a dit récemment de « fermer tous les pôles, incubateurs autres accélérateurs et d’ouvrir des espaces ouverts où les citoyens créent librement et obtiennent à la mesure de leur implication » ?
Le Tiers-Lieu
D’après Movielab, le mot tiers-lieu est souvent utilisé de façon générique pour parler des espaces physiques ou virtuels de rencontres entre des personnes et des compétences variées qui n’ont pas forcément vocation à se croiser. Il s’agit donc d’un mot chapeau très large pour désigner les espaces de coworking, les FabLabs, les HackerSpaces, les jardins partagés et autres habitats partagés ou entreprises ouvertes.
Wikipedia nous rappelle l’origine du terme : le tiers-lieu, ou la troisième place, ou est un terme traduit de l’anglais The Third Place. Il fait référence aux environnements sociaux se distinguant des deux principaux que sont la maison et le travail. Dans son livre datant des années 1980 The Great, Good Place, Ray Oldenburg, professeur émérite de sociologie urbaine à l’université de Pensacola en Floride, indique que les troisièmes places sont importantes pour la société civile, la démocratie, l’engagement civique et instaurent un sentiment d’espace.
Contrairement à la première définition, on parle donc bien d’espaces physiques de rencontres, d’échanges, voire de travail collaboratif.
Le FabLab
A tout seigneur tout honneur, le plus connu des Tiers-Lieux est le fablab ou « atelier de fabrication numérique » en français. Abréviation de « Fabrication laboratory » en anglais, c’est un lieu ouvert au public mettant à la disposition de ses utilisateurs des ressources techniques, technologiques et humaines (machines, outils, logiciels, procédés, savoir-faire, mentors) nécessaires à la création et à la fabrication d’objets et de projets de toutes sortes qui répondent à un besoin personnel ou collectif.
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Le concept de FabLab est né d’une initiative du Center for Bits & Atoms du MIT (Massachussets Institute of Technology) afin de démocratiser les processus de conception, de prototypage et de fabrication d’objets. L’un des objectifs de cette expérimentation était de donner un accès public à des outils et des machines (numériques ou non) pour observer l’utilisation qui en serait faite au quotidien sans contraintes académiques.
Constatant le succès de cette idée, un programme, une fondation ainsi qu’une Charte des FabLabs ont été mis en place, ce qui a permis l’émergence d’un réseau d’envergure internationale. Un FabLab est un lieu de recherche, de création, de conception, d’exploration, d’expérimentation et de réalisation. Il invite aussi à la découverte, au jeu et à la coopération. Il vise à faciliter l’accès aux outils et aux technologies en vue de stimuler l’expression, l’innovation et l’inventivité personnelles, de même que l’apprentissage par la pratique et par le mentorat.
Pour porter l’appellation officielle FabLab, un atelier de fabrication numérique doit respecter les exigences suivantes :
- être ouvert au public gratuitement ou en échange de services bénévoles (formation, animation, entretien, etc.)
- déclarer adhérer et souscrire à la Charte des FabLabs
- participer activement au réseau international des FabLabs, et non pas agir en vase clos, en échangeant et partageant des connaissances, l’état d’avancement des recherches, des designs, des plans, des codes, des logiciels, etc.
- partager avec le reste du réseau un ensemble d’outils, de matériaux et de processus communs pour faciliter les échanges, l’entraide et la collaboration.
J’ai eu la chance de visiter le FabLab porté par Tektos sur la côte d’Opale. Il s’agit d’un bon exemple de ce que peut être cet outil et son ambition pour un territoire donné, ici le Calaisis.
Le Living Lab
Un Living Lab, l’abréviation pour « Living Laboratory » en anglais, se traduit littéralement par « laboratoire vivant ». Un Living Lab est une méthodologie de recherche en innovation menée par une réunion d’acteurs publics, privés et citoyens qui travaillent en concertation continue, plutôt qu’en vase clos, pour concevoir, améliorer et valider dans le vécu (la « vraie vie »), des produits, des services, des technologies, des outils, etc.
Le concept de Living Lab est né à la fin des années 1990 au Media Lab du MIT (encore !). Il proposait une nouvelle méthodologie de recherche pour répondre aux enjeux d’innovation associés à l’utilisation, souvent peu conviviale, des technologies de l’information et de la communication par les consommateurs. Cette méthodologie se différenciait des méthodes courantes, car elle ne considérait pas l’usager de produits et de services technologiques comme un simple objet d’investigation passif, mais plutôt comme un participant actif, qui détient un véritable savoir d’usage.
On a déjà pu observer ces tendances dans cet article sur le design thinking ou bien celui-ci sur le design en général.
Le concept a ensuite été exporté en Europe où l’organisme ENoLL (European Network of Living Labs) a été créé en 2006. L’ENoLL est mis en place afin de structurer l’émergence des Living Labs par l’homologation des projets et la documentation des bonnes pratiques.
Depuis 2011, les Living Labs explorent, entre autres, le thème de la ville intelligente sous différents angles, dont notamment ceux de la santé, de l’éducation, de la logistique et du transport, de l’aéronautique, de l’environnement, du tourisme, de l’agriculture, du génie et de l’administration publique.
On répertorie aujourd’hui plus de 340 Living Labs, répartis dans une quarantaine de pays sur les cinq continents. Il existe une grande diversité d’expériences au sein des Living Labs qui varient selon les objectifs qu’ils souhaitent atteindre, les outils qu’ils utilisent ainsi que la structure stratégique et opérationnelle qu’ils mettent en place.
A titre d’exemple, un Living Lab opère à Lille depuis plusieurs années sur le site d’Humanicité[ref]Créés par l’Institut catholique de Lille, les Ateliers du quartier Humanicité ont deux objectifs principaux : construire un système de développement d’innovations sociales accompagnant le nouveau vivre-ensemble ; et co-élaborer des réponses innovantes aux questions soulevées par les acteurs et habitants d’Humanicité, qu’ils soient notamment malades ou en situation de handicap.
En lien avec les écoles et facultés de l’Université Catholique de Lille, les établissements sanitaires et médico-sociaux, des entreprises et les collectivités locales, les Ateliers apportent outils et méthodes afin de rendre le quartier le plus vivant et participatif possible, c’est-à-dire propice à toutes formes d’innovation de produit ou de service ou d’organisation.
Régulièrement, ils soumettent des idées ou des cahiers des charges aux établissements de l’UCL et à leurs partenaires, relatifs à des projets collectifs répondant à des besoins et attentes de personnes vivant sur le quartier. Les prototypes de ses projets sont évalués en situation réelle afin d’en mesurer les impacts économiques, sociaux, environnementaux,… C’est une caractéristique essentielle des living-labs : offrir aux utilisateurs un rôle dans la création, la mise en forme, le test et finalement la validation de la solution.
En plus d’une démarche d’innovation, l’appellation « Living-lab » désigne également un espace physique de 250m² situé 1 rue Martin Luther King. Ce local est à disposition pour l’organisation de réunions, séminaires, travaux de groupes,… D’une capacité maximale de 100 personnes, les animations proposées font appel à l’intelligence collective. Un appui logistique, méthodologique et une équipe d’animateurs ou d’experts peuvent enrichir les animations et les projets.[/ref]. Le nouveau quartier Humanicité rassemble des organismes et des habitants motivés par un nouveau « vivre ensemble ». Ce nouveau « vivre ensemble » se construit peu à peu avec les 2 200 habitants et 800 professionnels partageant ensemble le même environnement. Le Living Lab permet l’expérimentation et la mise en place d’expériences et de solutions innovantes, profitant à tous.
Les hackerspaces
Un hackerspace, hacklab ou media hacklab est un lieu où des gens avec un intérêt commun (souvent autour de l’informatique, de la technologie, des sciences, des arts…) peuvent se rencontrer et collaborer. Les Hackerspaces peuvent être vus comme des laboratoires communautaires ouverts où des gens (les hackers) peuvent partager ressources et savoir. Beaucoup de hackerspaces utilisent et participent à des projets autour du logiciels libres, du hardware libre, ou des médias alternatifs.
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Ils sont souvent physiquement installés dans des maisons des associations ou des universités, mais dès que le nombre d’adhérents et l’éventail des activités augmente ils déménagent généralement dans des espaces industriels ou d’anciens entrepôts.
Une carte des Labs en France
Pour s’y retrouver, le plus simple est peut-être d’aller sur le site http://www.makery.info qui vous donne une information en temps réel des lieux où se trouvent les Labs en France et alentours.
Tiers-lieu : révolution ou feu de paille ?
L’émergence d’un Tiers-lieu n’est pas due au hasard. Déjà dans cet article, nous mettions déjà en avant les différentes tendances qui préfigurent une nouvelle façon de travailler ensemble (voir aussi cette interview d’Olivia Lisicki). Pour mémoire, cette infographie représente les différentes tendances, repérées par le projet Wave, qui concourent à l’émergence de l’intelligence collective. Le mouvement des makers, la co-création et l’économie du partage sont des tendances qu’ont peut relier à la montée en puissance du Tiers-lieu et des Labs.
Il est donc probable donc que le Tiers-lieu et le Lab s’inscrivent à l’avenir durablement dans le paysage. Pour ma part, je conduis d’ailleurs actuellement une étude afin de voir comment stabiliser les modèles économiques d’un Tiers-lieu et comment améliorer dans ma belle région son articulation avec des outils plus traditionnels, comme les incubateurs, les accélérateurs ou les pépinières d’entreprises. N’hésitez pas à contribuer si vous le souhaitez (twitter, linkedIn), je serais très heureux d’échanger avec vous sur le sujet.
6 commentaires sur “Tiers-lieu et autres fablab, hackerspace, medialab, living lab, … vous n’y comprenez plus rien ?”
Un autre article pour aider à remettre en perspective :
« « Fab labs », « makerspaces » : entre innovation et émancipation ? », Revue internationale de l’économie sociale : Recma, Numéro 334, octobre 2014, p. 85-97
URI : http://id.erudit.org/iderudit/1027278ar
Bonjour ! Un article très intéressant pour préciser les termes d’un nouveau langage pour un nouveau monde. Une documentation et une réflexion très utile pour la porteuse de projet de Tiers-Lieu que je suis. Tu es basé dans quelle région ?
Les Hauts-de-France comme on dit maintenant (Lille)