La grande illusion de la conduite du changement

Quand un client fait appel à moi, je commence par lui dire que je ne fais pas de conduite du changement, mais de la transformation.  À ce moment-là, vous vous demandez peut-être « Ah bon, il y a une différence ? »  Oui, et c’est une différence de taille ! « N’est-ce pas jouer sur les mots ? ». Non, le sens des mots est important, et je pense même que ça va complètement changer votre manière d’aborder les choses.   

Vous êtes dubitatif ?   Je vous explique.

Aurélie Marchal, la transformation n’est pas le changement

Si on revient à l’étymologie, le changement provient de « cambiare » ce qui signifie changer une chose contre une chose qui existe déjà.   

On change de paire de chaussures, on change de voiture, on change d’ordinateur. C’est simple : vous changez une chose pour une autre chose qui peut être simple ou beaucoup plus complexe mais c’est une chose (ou une personne) déjà existante.

La conduite du changement est parfaitement appropriée dans des contextes simples et stabilisés, lorsque l’on sait ce que l’on veut, que la solution existe, et que l’on sait que ce choix sera approprié.   

Ensuite, pour convaincre les personnes d’accepter ce changement, on utilise les techniques de persuasion possibles, qui vont de la sensibilisation à la manipulation. L’objectif est de faire adhérer des personnes à quelque chose qui a souvent été décidée pour elles et sans elles. 

Cela fonctionne très bien dans des contextes simples et prévisibles, lorsque la solution n’a pas à être inventée et/ou lorsque les enjeux pour les personnes concernées sont négligeables. 

Le souci, c’est lorsque l’on s’engage dans une démarche de conduite du changement alors que l’on sait qu’il existe de nombreux enjeux pour les personnes concernées. 

C’est pire encore lorsque personne ne peut, de manière réaliste, connaître quelle sera LA solution pertinente, notamment parce qu’elle n’existe pas encore, ce qui est très souvent le cas lorsque l’on se trouve dans situations complexes, mouvantes, au futur incertain.   

Il serait effectivement très confortable de pouvoir s’adresser à un consultant omniscient qui puisse connaître la solution idéale. Et il me semble que certains décideurs pensent que, plus ils investissent dans des cabinets de conseil très réputés, plus ils s’assurent d’accéder à des solutions infaillibles, comme s’ils pouvaient obtenir des réponses divines.  

Ils parviennent alors à (se) donner l’illusion qu’ils ont pris la meilleure décision possible et qu’ils seront protégés contre toute critique. Je pense que, de bonne foi, ils en sont souvent convaincus. S’ils sont plus lucides, ils prennent la sage précaution de se « couvrir ».    

(Je m’interroge : cette manière de penser, que je juge illusoire, ne provient-elle pas de notre système éducatif qui tend à sur-valoriser les personnes qui ont étudié dans les écoles que l’on qualifie d’élitistes ? Je me demande si ces personnes ne tendent pas à apprendre durant leurs études, puis à croire durablement, qu’il existe des personnes plus « sachantes » que d’autres, qui sont légitimes à prendre seules ou en petit comité des décisions qu’elles estiment éclairées et justes sur des sujets qu’elles ne maîtrisent pourtant pas toujours suffisamment …)

Encore une fois, la conduite du changement dans un contexte à la fois simple, prévisible et sans enjeux, ça fonctionne très bien.   

Malheureusement, nous savons tous que de tels contextes idylliques sont extrêmement rares. 

Et donc, je vais remettre l’église au milieu du village : lorsque l’on est dans un contexte complexe et imprévisible, le changement et la conduite du changement, ça ne marche pas !

C’est tout simplement illusoire de le croire.  

Ce qui fonctionne dans les contextes complexes et imprévisibles, c’est la transformation !  

J’en reviens à mon client : je lui explique immédiatement que moi, Aurélie Marchal, je ne serai pas en capacité de lui indiquer quelle sera la solution à son problème complexe, même après des journées d’interviews et de diagnostics. Et je ne crois pas qu’une seule personne sur terre puisse le faire, aussi sachante soit-elle. 

Je lui dis par contre que je peux lui permettre de parvenir à LA meilleure solution possible pour ses équipes et pour lui, par rapport à leur contexte singulier, en tenant compte des personnes qui sont touchées par cette problématique et de leurs enjeux spécifiques. 

Comment ? 

La transformation sera co-construite par les personnes qui sont concernées par le problème et qui bénéficieront donc du nouveau dispositif. 

Bien sûr, il est indispensable de cadrer le projet pour qu’il soit aligné avec la stratégie, les attentes et les contraintes de la Direction. 

Par ailleurs, il sera certainement pertinent de faire appel à des personnes expertes extérieures, à déterminer selon la problématique et les enjeux, afin qu’elles apportent leurs compétences et connaissances que les équipes ne peuvent pas posséder. 

Dans ce cas, il s’agit non pas de changement mais de transformation.

Etymologiquement « transformare » signifie aller, à partir de la forme actuelle, vers une nouvelle forme qui n’existe pas encore et qui va advenir, en intégrant l’ensemble de l’écosystème. Cela passe donc nécessairement pas de la co-construction. 

Au lieu de subir des organisations et des processus dysfonctionnels et toutes les conséquences négatives qui en découlent, il est tout à fait possible d’accompagner les équipes pour qu’elles co-créent, ensemble, et de manière inclusive, des dispositifs pertinents qui vont leur faciliter la vie au quotidien. 

Leur travail sera beaucoup plus efficace et beaucoup plus satisfaisant. Et le coût du désengagement sera fortement réduit.

Alors, que voulons-nous : persister dans l’illusion du changement, ou engager de véritables transformations (qui n’en ont pas que le nom) ?

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