La mode est aux startups. Il semblerait qu’il n’y ait plus qu’elles qui innovent. Comment inverser la tendance et aller au-delà des startups ? Un article de Paul-François Fournier, directeur général de BpiFrance Innovation, m’a redonné un peu d’espoir car il reconsidère l’importance des entreprises dites « traditionnelles » dans la croissance de notre pays. Il faut dire que, pour celui qui a connu l’Anvar, la mue a été profonde depuis l’époque où les chargés d’affaires avaient des profils d’ingénieurs qui allaient dans les entreprises et les aidaient patiemment à innover, souvent pour la première fois et sur des petits projets. Les différentes fusions (avec feu la BDPME, pour donner OSEO, qui s’en souvient encore ? Puis avec la CDC Entreprises, le FSI et FSI Régions pour créer la Banque Publique d’Investissement ou « bpifrance ») ont bien changé la donne. Les moyens financiers se sont accrus, les études de solvabilité renforcées, le costume-cravatte s’est imposé et il est devenu parfois malaisé de voir une différence entre l’activité actuelle de BpiFrance et celle d’un établissement bancaire plus traditionnel.
Si l’on ne considère que les seuls montants investis dans les start-up, le constat est sans appel et il est bon : c’est aujourd’hui près de 300 fonds de capital-investissement, qui tissent un écosystème de financement particulièrement dense et performant et participent à la création d’une véritable « industrie financière ». D’après Paul-François Fournier : « les 10 milliards d’euros levés en 2014 constituent un record depuis la crise ». Le problème, c’est qu’au-delà de ce satisfecit les résultats de notre pays en termes macroéconomiques sont loin d’être bons lorsqu’on les compare aux autres pays de l’OCDE, en particulier en ce qui concerne la compétitivité et le chômage. Évolution du PIB par habitant ou par heure travaillée, évolution du chômage, performance de la fonction publique ou du système éducatif, … Les motifs de satisfaction sont rares et on se reportera à l’intégralité du rapport en bas de cet article pour s’en convaincre.
Il n’y a pas de start-up
On m’a récemment demandé : « au fait, il y a combien de start-up dans la région ? ». La vérité, c’est qu’on n’en sait rien et qu’il est d’ailleurs impossible de le savoir. En effet, les définitions sont aussi nombreuses que les conclusions auxquelles on veut aboutir. Entre les JEI (jeunes entreprises innovantes), les gazelles, les entreprises à potentiel, … on ne compte plus ces dernières années les dénominations originales, les appellations insolites et, pour tout dire, les effets de mode et de manche. Ce pays féru de statuts qu’est le nôtre est très mal à l’aise avec ce nom de « startup » qui représente plus une potentialité qu’un état, davantage une phase de croissance accélérée d’une entreprise qui a fait les bons choix stratégiques de positionnement, plutôt qu’une caractéristique intrinsèque. Une entreprise a pu être une startup, elle ne le restera pas. Aucun jalon précis n’est d’ailleurs posé ni visible qui permettra de déterminer à quel moment précis une startup va cesser d’en être une et redevenir une entreprise « classique ».
http://www.lescahiersdelinnovation.com/2015/11/lachez-nous-avec-vos-start-up/
Au-delà des startups, un vrai changement
Paul-François Fournier écrit que « la culture de l’innovation gagne les Français et leurs entrepreneurs ». On peut bien sur souscrire à cet enthousiasme mais je dirais plutôt que les évolutions technologiques, principalement dans le domaine du numérique, ont rendu possible et libéré les volontés entrepreneuriales d’un nombre toujours plus important de preneurs de risques qui se voient volontiers chefs d’entreprise … ou bien riches. Rappelons que notre ministre de l’économie a récemment défini l’horizon des jeunes de notre pays comme l’accumulation indécente d’une quantité absurde d’argent. Tout le monde ne cède pas aux sirènes ministérielles et nombreux sont ceux, heureusement, qui rejettent le destin de Midas pour un projet de création d’entreprise porteur de sens. On relira par exemple cette interview d’Olivia Lisicki pour s’en convaincre.
Les jeunes Français doivent avoir envie de devenir milliardaires
Emmanuel Macron, ministre de l’économie
Le nouvel héro est donc Xavier Niel, tandis qu’OVH, Criteo ou Parrot s’imposent mondialement. On remarquera que tous ces entrepreneurs sont déjà allés bien au-delà des startups et sont à la tête de très grandes entreprises. Comme le rappelle Paul-François, leur succès nourrit de nombreuses vocations : chez les créateurs, la moitié des jeunes de 18 à 24 ans souhaitent par exemple aujourd’hui lancer leur propre entreprise tandis que du côté des moyens mis à disposition pour les y aider, on voit se multiplier les formations spécialisées, les incubateurs, les accélérateurs et les fonds d’investissement !
Un retour vers les entreprises dites « classiques »
Comme je l’ai dit, il n’y a pas d’entreprise innovante comme il n’y a pas d’entreprise classique. C’est l’innovation des produits qu’une entreprise va chercher à mettre sur le marché qui va définir le caractère innovant ou pas de cette entreprise. Et le marché évolue sans cesse. Une entreprise « innovante » pourra donc fort bien ne plus l’être l’année suivante, là où une entreprise qui n’a jamais proposé sur le marché de produits ou services originaux pourrait fort bien voir son « statut » rapidement évoluer, à la faveur d’un changement de son offre. Certains de nos parcs d’activités dédiés aux nouvelles technologies et aux startups sont de très beaux succès : ils concentrent de nombreuses entreprises dont la croissance moyenne est très supérieure à celle des autres entreprises.
Mais attention toutefois à relativiser leurs résultats, si on tient compte du contexte économique plus globalement. On peut déjà dire dans un premier temps que tous les emplois créés sur les sites d’excellence et les technopoles ne sont pas des créations « nettes », directement imputables aux sites. En effet, certaines auraient eu lieu de toute façon et on constate surtout un effet de « concentration », dont il est difficile de mesurer la « valeur ajoutée » en terme de création d’emploi (même si elle existe, c’est indéniable). Enfin, et c’est peut-être le plus important : les créations d’emplois par les startups ne compensent pas, loin s’en faut, les pertes d’emploi dans l’industrie ou dans les entreprises dites « traditionnelles ». Quand un site au succès incontesté annonce avoir contribué à créer, en 10 ans, 3 000 emplois, il faut bien sur s’en réjouir. Mais lorsqu’on met ce chiffre en balance avec, par exemple, les pertes d’emplois uniquement sur un site comme celui de la cristallerie d’Arques qui est passé de 2004 à 2014 de 12 000 à 6 000 emplois, on ne peut que se convaincre que la solution ne pourra pas résider uniquement dans les jeunes entreprises du numérique et qu’il faudra aller au-delà des startups.
Quels sont les freins à lever pour permettre à toutes nos entreprises d’innover plus et mieux ? D’après Paul-François, ils sont au nombre de trois :
- la France aurait encore une vision encore trop technologique de l’innovation. Il s’agit ici d’un argument pro domo de BpiFrance qui fait écho au manifeste « innovation nouvelle génération » dont nous avons déjà parlé. Bien sur c’est exact mais il s’agit d’une évolution des mentalités de l’administration et de BpiFrance plus que des entreprises. Ces dernières ont depuis longtemps compris que l’innovation n’était pas que technologique. Ce sont elles qui, pendant des années, ont cherché des aides pour la mise sur le marché de ce qu’elles considéraient comme innovants et à qui l’administration et les ancêtres de BpiFrance répondaient invariablement : « mais non, vous avez tort, ce que vous proposez n’est pas innovant ».
http://www.lescahiersdelinnovation.com/2015/03/la-nouvelle-grille-danalyse-de-linnovation-bpifrance/
- le deuxième frein serait, toujours selon Paul-François, le manque de rachats par les grands groupes des fameuses pépites innovantes, des startups. Nous avons également insisté sur la nécessité pour les grands groupes de conduire des politiques d’Open Innovation (par exemple dans cet article). « Si chaque groupe investissait chaque année 10 % de son budget de R&D dans des acquisitions de PME innovantes, la vitesse de transformation de ces entreprises s’accélérerait fortement, favorisant à leur tour l’émergence de nouveaux écosystèmes ». C’est surement exact, mais ne voir ce problème que par le prisme des seules acquisitions apparait comme un tropisme de banquier 🙂
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Enfin, le dernier problème résiderait dans l’inadaptation du cadre réglementaire aux nouvelles formes de formation, d’emploi, de financement ou de propriété. C’est là que la volonté politique peut intervenir pour libérer les énergies créatrices : celles des grands ensembles économiques comme celles des individus. Toujours victime de son atavisme bancaire, l’auteur n’évoque ici aucune des réformes structurelles, fiscales et sociales dont notre pays aurait besoin pour s’adapter à la révolution numérique mais uniquement les milliers de « business angels » qui sont aussi entrepreneurs, et dont les capitaux et l’expérience « peuvent faire beaucoup pour les startup ».
On ne peut que se réjouir, encore une fois, du « retour aux sources » de BpiFrance en direction des PME traditionnelles en ce qui concerne l’innovation. Le gouvernement soutient toutes les entreprises, au-delà des startups. La situation redevient normale, l’effet de mode s’estompe. Espérons toutefois que le passage de BpiFrance par la case banque n’aura pas irréversiblement transformé leur regard et ne leur aura pas donné une vision par trop financière de l’économie. A ce stade, les clignotants inquiétants égalent les signaux positifs. Que sera sera.
Pour en savoir plus
- L’interview de Paul-François Fournier dans les échos (malheureusement, il faut être abonné pour le lire si vous avez « consommé » plus de 5 articles ce mois)
- le rapport de l’OCDE intitulé « France, redresser la compétitivité », série « politiques meilleures » (sic), qu’on peut télécharger à cette adresse
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6 commentaires sur “la France doit innover au-delà des startups”
Toutes les entreprises des secteurs traditionnels ont innové et innovent encore. Il y a de beaux projets en province, loin des projecteurs parisiens (voir les « Bonnes Nouvelles des Conspirateurs du Futur » de Michel Godet). Celles qui n’ont pas su innover ont disparu, car finalement l’innovation est un processus par lequel les entreprises peuvent s’adapter à un environnement changeant. C’est ce que nous avons essayé de décrire dans l’Innovation Agile parue en 2007 aux éditions AFNOR. Il y a eu tellement de buzz autour de certaines formes d’innovation et de la composante R&D que l’on a fini par oublier que ces entreprises innovaient. D’ailleurs, elles n’intéressaient pas tellement les ancêtres de Bpi France. D’innovation, il n’en était question que si l’on pouvait mettre en avant un verrou technologique. Mais voilà Bpi France est avant tout une banque. Comme toute banque, il lui faut s’assurer d’un certain niveau de profitabilité. C’est sans doute cela qui a porté son intérêt vers d’autres formes d’innovation que celles qui étaient promues par l’Anvar et Oséo. Il est beaucoup moins risqué d’investir dans des PME qui ont du chiffre d’affaire que dans des start up. Et on en arrive à des situations surprenantes où des PME se voient proposer des prêts bancaires alors qu’elles n’en ont pas besoin, tandis que des start up se voient refuser un soutien de Bpi France….
merci pour le commentaire. Je ne connaissais pas votre ouvrage qui a l’air très intéressant. Je me suis permis de mettre sa référence dans l’article (et accessoirement, je viens de le commander 🙂 )
Je vous remercie pour votre commentaire sur mon commentaire. En fait, j’apprécie la pertinence et votre regard sur l’innovation. Je me permets de vous recommander de lire plutôt « Innover avec succès » aux mêmes éditions que « l’Innovation Agile ». « Innover avec succès » avait reçu le dernier prix littéraire de l’année 2009, le prix Performance et Qualité. Plus sérieusement, il avait été construit à partir d’une réflexion sur l’ouvrage de Jared Diamond, « Collapse ».
Bien cordialement
Sur le manque de rachat des startups françaises par les grands groupes. Je ne sais pas si l’auteur du rapport voulait dire grands groupes en général, ou grands groupes français, ou rachat avec intention de développer en France. Ce qui me semble manquer cruellement c’est le dernier cas de figure. On voit trop souvent des rachats spectaculaires (par le montant et par le racheteur) qui conduisent rapidement à la disparition pure et simple de l’activité. Si on considère qu’il y a innovation quand une idée passe dans l’usage, on ne peut que constater que dans ces cas il n’y même pas eu innovation car l’idée a été étouffée dans l’œuf.
Bonjour. Très bon article qui remet bien « l’église au centre du village ». On sait bien aujourd’hui que les points de croissance sont davantage à gagner par l’intégration du numérique à la chaîne de valeurs des entreprises « traditionnelles » que par la production de biens et de services numériques. Patrick Artus l’avait déjà bien montré il y a quelques années. Par ailleurs, aux freins à l’innovation dans les entreprises « traditionnelles » il faut aussi ajouter la faible culture numérique des dirigeants et des salariés qui ne se résume pas à la seule maîtrise des outils. Et cela ne pourra probablement se résoudre que par le changement de générations. ..