MaaS (Mobility as a Service), Data et Smart City. Difficile d’échapper à ces thèmes ces temps-ci. Cet article se veut une courte introduction à une question qui lie ces 3 sujets : tout le monde s’accorde sur la nécessité de construire des écosystèmes (on disait avant « filières », mais c’est manifestement devenu trop vertical comme concept) pour développer des services innovants. Le problème ? Les meilleurs à ce petit jeu sont souvent des acteurs globaux qui mobilisent une culture de la Data, une agilité, des ressources financières et des compétences qui prennent de court ou écrasent aussi bien les autorités organisatrices de mobilité (AOM) que les offreurs de solutions français ou européens (startups, transporteurs, industriels des ITS). Et malgré toutes leurs qualités les Google Maps, Waze, Uber ou acteurs chinois du vélo à la demande (qui émergent) ne peuvent répondre à tous les besoins locaux et particuliers. Le risque de l’uniformisation aussi bien que de positions hégémoniques menacent manifestement le bien commun. C’est maintenant que l’on doit construire des écosystèmes qui préservent ce bien commun : la diversité et la résilience.
La donnée, « matière première » des services de mobilité et de cartographie
Les données sont, à l’origine, un outil pour créer des services et des solutions. Produit dérivé ou fondement même, selon les cas, de services comme la cartographie / GPS (Google Maps, Mappy, Waze), des calculateurs d’itinéraires de transport (Citymapper, Vianavigo, Google Maps – encore !) ou des services de transport et de mobilité, des transports publics traditionnels (bus, métro, train, dont les horaires officiels constituent l’armature du contrat de service) aux vélos en libre-service, les services d’autopartage et vélo partagé à la demande (mais où est donc mon Go.bike, caché au milieu de tous ces Vélib ?!), de covoiturage (BlaBlaCar, WayzUp, et tous les autres acteurs de ce marché dynamique et créatif).
La donnée, actif stratégique : ouverture et protection
À chacun ses données, à chacun ses services, donc. Ce temps est déjà terminé, du moins dépassé. Voila déjà dix ans que l’on perçoit la valeur de rendre accessible et échanger des données, parce que celles-ci sont un actif stratégique ! C’est contre-intuitif mais Google aussi bien que les pionniers de l’Open Data nous ont démontré, chacun à leur façon, que lorsqu’on est sérieux sur la valeur des données dont l’on dispose, que l’on génère, que l’on agrège, on doit construire des modèles pérennes reposant sur l’accès élargi à la donnée, sa réutilisation par des tiers pour construire de nouvelles données et de nouveaux services.
C’est ici que les complications ont commencé. Comment rendre accessibles ses propres données (les « ouvrir ») lorsque des acteurs dominants aux moyens gigantesques risquent d’en être les principaux bénéficiaires ? Comment, simple fermier dans le Far West, lutter face à des éleveurs tout puissants qui détruiront votre champs, vos avantages compétitifs, sans même s’en apercevoir ? Si vous n’avez pas Lucky Luke à vos côtés, vous ferez ceci. : dresser les barbelés, et détruire de la valeur ! C’est ce qu’ont décidé de faire ensemble SNCF, RATP, Transdev et BlaBlaCar dans le cadre d’une alliance créant un pré carré au sein duquel ils vont pouvoir partager à loisir données en temps réel, données tarifaires et titres de transport communs.
Est-ce que cette approche en pré carré entouré de barbelés est la réponse à tous les problèmes auxquels nous faisons face pour développer des services de mobilité compétitifs, au service des citoyens, avec des modèles économiques robustes ? Rien n’est moins sûr. Le risque d’une position dominante prise par quelques acteurs au détriment d’autres acteurs légitimes (publics comme privés) pour développer des services et créer de la valeur est évident. Il n’est pas certain qu’une telle approche garantisse contre des « contournements » mis en œuvre par des acteurs du numérique motivés pour capter une part significative du potentiel de MaaS en France et dans le monde. Souvenons-nous qu’historiquement Waze s’est construit sur la difficulté d’accéder simplement et librement à des données d’information trafic et de cartographie pour construire son GPS. Ils l’ont fait eux-mêmes, et le résultat a suscité l’adhésion du grand public.
Beaucoup s’en plaignent suffisamment aujourd’hui pour y réfléchir à deux fois avant de dérouler les barbelés sur la prairie des services de mobilité dont nous avons tant besoin si nous voulons remettre en cause le statu quo, la domination de la voiture individuelle en toute circonstance, si nous voulons développer des mobilités urbaines réellement durables, sans exclure tous ceux qui vivent et travaillent sur des territoires qui ont aussi le droit de se développer, et pour lesquels la voiture constitue pour longtemps encore l’une des solutions pivot.
L’intérêt général, c’est un MaaS pour tous, ouvert et pluriel = une plateforme
En réalité nous avons besoin d’une diversité d’acteurs, de modèles et de solutions. Nous avons besoin d’acteurs publics qui donnent accès équitablement à toutes les offres de services de mobilité, en informant sur les solutions dans la perspective de l’intérêt général (certaines solutions, dans certains contextes, ont plus de valeur pour la société que d’autres). Nous avons besoin, en France, d’acteurs mondiaux qui mettent à notre disposition des produits riches de fonctionnalités, populaires, accessibles, traduits en de multiples langues. Nous avons besoin d’acteurs des services de mobilité qui développent des solutions répondant à nos besoins, en fonction des territoires, et qui arrivent à combiner leurs offres avec d’autres, à créer de la valeur par des alliances. Nous avons besoin d’autres acteurs qui soient hors du champ de la mobilité, qui se considèrent comme des media, ou des offreurs de service génériques, et qui diffusent les informations et les offres disponibles sous une diversité de format adaptés à des publics et des situations divers.
Une prairie entourée de barbelés deviendra bientôt un champ à traiter au RoundUp pour enlever toute « mauvaise herbe ». Il n’en restera rien d’autre qu’une monoculture (certes intensive) sur un sol appauvri. À long terme nous avons besoin en fait de champs plus ouverts, aux limites certes bien tracées, où l’on trouve en périphérie non des barbelés mais des espèces d’herbes étonnantes, voire détonantes, qui elles aussi apportent leur contribution à l’écosystème. Comment va-t-on faire cela ? Cela passe selon moi par une approche ouverte de MaaS, sous forme de plateforme, avec des règles claires et partagées, un accès équitable pour tous. Et surtout des autorités de transport qui adoptent une nouvelle conception de leur rôle comme étant la fondation de la plateforme et de son écosystème, la soutenant et la rendant stable. Ce qui oblige à une autre pratique du contrôle et de la protection de l’intérêt général. Non moins exigeante, mais plus complexe.
Les offreurs de solutions font face à un défi non moins stimulant : résoudre le paradoxe qui conduit parfois à coopérer avec un concurrent potentiel, développer des alliances entre pairs pour être plus forts sans renoncer à une économie de plate-forme ouverte (et la puissance qu’elle procure à celui qui la maîtrise), enfin nouer de nouvelles relations avec les acteurs publics en recherchant l’alignement des intérêts de l’entreprise sur le bien commun parce qu’à long terme cela assure à l’entreprise une stabilité de son modèle.
Pour en savoir plus
- Interview de Jean-Louis Missika (Ville de Paris) sur le sujet des coopérations public-privé qui permettent de mettre à disposition des villes de nouvelles technologies :
- ouvrages
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