Il est toujours difficile d’établir un lien entre profil des entrepreneurs et croissance des startups. Dans mon métier la question a souvent été posée : quelles sont les caractéristiques des entrepreneurs les plus « prometteurs », ceux sur qui il faut impérativement investir car ils seront bientôt à la tête d’une entreprise en forte croissance ? Profiler les entrepreneurs est difficile : quels critères faut-il prendre en compte ? Leur parcours, leurs études, leurs expériences, leurs motivations, … Et comment mesurer la croissance d’une entreprise : le chiffre d’affaire, le nombre de collaborateurs, les levées de fonds, l’impact économique, … Je m’appuie dans ce post entre autres sur un papier publié il y a déjà quelque temps par le CERAG (centre d’études et de recherches appliquées à la gestion, UMR CRS 5820) par plusieurs chercheurs : Jean-Pierre Boissin, Marie-Christine Chalus-Sauvannet, Bérangère Deschamps et Sébastien Geindre. De nombreux articles de recherche ont été publiés depuis mais cette étude exploratoire constitue une bonne base de départ, souvent confirmée par notre expérience professionnelle quotidienne.

Profil des entrepreneurs et croissance des startups, une réalité complexe à analyser

La croissance des entreprises ne peut être réduite à une seule cause, elle est multifactorielle. De plus, cette croissance n’est pas linéaire : parfois très rapide, elle passe par des reculs ponctuels ou des plateaux.La croissance est un résultat pour l’entreprise  mais un moyen pour le dirigeant La croissance de l’entreprise dépend, au moins en partie, de la volonté du dirigeant, de son « intention stratégique »[ref]Hamel et Prahalad, strategy intent, HBR p.63-76[/ref]. Afin d’essayer d’isoler la part de la croissance d’une startup résultant du profil de son dirigeant, ce travail de recherche exploratoire s’est intéressé plus particulièrement à 4 entreprises innovantes de moins de 10 ans, issues de résultats de recherche et employant, au moment de l’étude, entre 30 et 120 personnes. Afin de faciliter les comparaisons et de lisser les problèmes liés aux poussées de croissance soudaines mais ponctuelles, la mesure de cette croissance est faite dans cet article sur l’ensemble de la durée de vie des entreprises étudiées.

L’entrepreneur a bien un rôle majeur

Beaucoup d’études ont montré que « la croissance d’une entreprise est le résultat d’une véritable décision de gestion dont l’entrepreneur propriétaire porte la responsabilité »[ref]Verstraete et Saporta, Création d’entreprise et entrepreneuriat, éditions de l’ARDEG 518p.[/ref]. L’entreprise est un outil de la volonté du dirigeant mais les conséquences de cette volonté lui échappent bien sur au moins en partie. Artisan refusant la croissance, startuper focalisé sur une croissance rapide avec espoir d’une revente avec profit, volonté d’indépendance, … les profils d’entrepreneurs sont nombreux (en 2002, Duval, Deschamps et Geindre en ont décrit 25 typologies) et, dans un article qui a fait date, Julien et Marchesnay ont en 1987 opposé l’entrepreneur PIC (croissance freinée) à l’entrepreneur CAP (croissance recherchée)[ref]Julien et Marchesnay, la petite entreprise, principes d’économie et de gestion, Vuibert Gestion[/ref]. A cause de son histoire et de ses aptitudes, l’entrepreneur a des besoins qui s’expriment dans ses décisions de gestion et ont donc un impact sur la croissance de son entreprise.

Les entreprises analysées

Quatre entreprises ont été analysées en détail (collecte des données sur 6 mois, entretiens, documents divers, …) afin de mieux comprendre le lien entre profil des entrepreneurs et croissance des startups :

• E1 : une entreprise fabricant des capteurs en micro-électronique (aérospatiale, télécommunications, cosmétique, défense), en forte croissance pour atteindre rapidement 269 salariés. APrès une restructuration importante, l’entrepris est redevenue saine et profitable. L’entrepreneur énonce facilement être motivé par l’argent, pour lui et pour les salariés. Il avoue également un besoin d’être reconnu et d’avoir du pouvoir. Issu d’une famille d’entrepreneurs, il est à l’aise face au risque. Il a le goût du défi.
• E2 : une seconde entreprise fabricant des capteurs en micro-électronique (médical, avionique, automobile) qui a également connu une forte croissance pour atteindre 45 salariés après 3 levées de fonds. Le dirigeant se décrit comme un technicien, un directeur R&D plutôt qu’un PDG. Il souhaite à terme céder sa place de dirigeant et ne rejette pas l’idée de s’enrichir même si cette idée reste secondaire. Il n’a pas d’entrepreneurs dans son entourage et est passionné par l’activité de son entreprise plutôt que par elle-même.
• E3 : une entreprise spécialisé dans le développement de l’optique (ophtalmologie) qui a atteint rapidement 60 collaborateurs et détient aujourd’hui 30 brevets. Le dirigeant de départ n’est plus majoritaire et est maintenant « directeur scientifique ». Il n’a pas d’état d’âme à ce sujet, ne souhaite pas « faire de l’artisanat » et est motivé par le développement, la mise en œuvre et la reconnaissance de ses idées.
• E4 : une entreprise spécialisée dans le développement de logiciels de test de microprocesseurs (électronique) qui a atteint 20 personnes en 4 ans pour un chiffre d’affaire qui ne décolle pas. Le dirigeant est avant tout motivé par la transformation de ses idées en produits finis. Assez frileux face au risque, il ne parait motivé ni par l’argent ni par le pouvoir.

L’étude analyse ensuite précisément les trajectoires de croissance des 4 entreprises présentées (effectifs, CA, fonds propres, internationalisation, brevets). Dans certains cas, la croissance devient un objectif pour l’entreprise et un moyen de satisfaction pour l’entrepreneur.

Quel impact selon les typologies d’entrepreneurs ?

Les résultats de l’étude montrent un impact claire du dirigeant sur la trajectoire de croissance de son entreprise :

Alors ? Investir sur le projet ou sur le dirigeant ?

Les chercheurs proposent de nombreuses pistes à creuser pour aller plus loin dans la compréhension du lien entre profil des entrepreneurs et croissance des startups : une fois que le dirigeant a atteint ses objectifs, que se passe-t-il ? Comment analyser les paliers de croissance ? Quel est le rôle des autres parties prenantes (universités, pôles, administratifs, pouvoirs publics, …) ?

Alors, repérer le « bon entrepreneur » suffit-il pour trouver la pépite qui aura une trajectoire de croissance exceptionnelle ? Notre expérience d’accompagnement de dirigeants nous le montre tous les jours : il vaut mieux un mauvais projet entrepreneurial porté par un « bon profil » que le contraire. Ce constat ne peut pas toujours être affiché aussi franchement, d’autant plus que nous avons souvent peu de critères très objectifs pour qualifier ce « bon profil », mais il guide consciemment ou non de nombreuses décisions d’accompagnement ou d’investissements.

Pour en savoir plus

• quelques ouvrages

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