Je ne sais pourquoi mais c’est une vérité de toute éternité : les services RH sont les plus sensibles aux modes. Qu’importe que le métier reste globalement identique et que les tâches effectuées soient souvent les mêmes qu’il y a 20 ou même 50 ans, il faut paraitre innovant. Peut-être est-ce simplement parce que les ressources humaines sont au service d’un management qui cède lui-même à toutes les sirènes des modes, à tous les gourous qui prétendent avoir trouvé la solution pour rendre compatibles performance de l’entreprise et bien-être des collaborateurs. Là où il n’y a pas si longtemps, on parlait encore de « plan de formation », on a abandonné cette formulation qui sentait trop le code du travail et les années 60 pour travailler aujourd’hui sur les compétences, ou plutôt sur les « skills », puisque l’anglais implique automatiquement plus de modernité.
- Dans cet article
- Les skills
- L'upskilling
- Les mad skills
- Les ressources
Les skills
C’est quoi au juste les « skills » ? Ne vous attendez pas à une révélation. Les skills, ce sont simplement des compétences. Pourquoi le terme français a-t-il été abandonné au profit de l’anglais ? Tout simplement parce qu’en anglais « skills » et « competencies » expriment deux concepts un peu différents et que cette nuance n’existe pas en français.
En anglais, les « skills », ce sont les capacités acquises dont on a besoin pour bien exercer un travail donné. Pensons par exemple au codage informatique, à la rédaction d’appels d’offres ou à la fabrication du pain. Les services RH font ensuite une distinction entre ce qu’ils appellent les « hard skills » et les « soft skills ».
Les hard skills sont des compétences techniques ou académiques acquises par un parcours scolaire, universitaire ou professionnel. Ces compétences peuvent facilement se démontrer, par le biais de diplômes, de certifications, de portfolios, etc. Certains utilisent le terme de « savoir-faire » pour parler de ces « hard skills ». Parmi les exemple de « hard skills », on peut citer la maîtrise d’une langue étrangère, de logiciels informatiques, de langages de programmation…
Les soft skills sont quant à eux sont des qualités humaines liées à la personnalité du candidat ou de la candidate. On parle ici souvent de « savoir-être » et on retrouve derrière cette notion des concepts aussi flous et fourre-tout que la démonstration d’une intelligence émotionnelle ou comportementale, d’une certaine empathie, d’une capacité d’écoute, de leadership… Bref, souvent tout et n’importe quoi.
Songez plutôt, on cite très fréquemment parmi les soft skills des notions aussi variées que :
- la résolution de problèmes complexes
- la pensée critique
- la créativité
- la gestion des équipes
- la coordination (réussir à coordonner son travail avec celui de ses collaborateurs)
- l’intelligence émotionnelle (attention, bu**shit)
- le jugement et la prise de décision
- le souci du service client (si, si, c’est un soft skill)
- la capacité à négocier
- la « souplesse cognitive » (la capacité à s’adapter à son interlocuteur pour favoriser l’inter-compréhension)
- la capacité à s’adapter
- la curiosité
- le sens de la communication
- l’autonomie
- la gestion du stress
- le travail et l’esprit d’équipe
- la résilience (au secours !)
- la rigueur
- l’organisation
- et blablabla …
Ce que les anglo-saxons vont appeler « competencies » regroupe les connaissances et les comportements qui conduisent à réussir dans un emploi. Il s’agit donc là-aussi d’une notion un peu floue et difficilement quantifiable, qui se rapproche de ce que nous appelons généralement les « soft skills » (la capacité à résoudre des problèmes, la planification stratégique, la capacité à négocier, …). Le graphique ci-dessous, qui provient du site social.hays.com, résume la distinction entre ces deux notions.
Retenons qu’en français, les notions de compétences et de skills sont assez régulièrement confondues, au profit d’une distinction assez claire entre les « hard skills » (en gros, ce qu’on a appris à l’école et dont on peut prouver la maitrise) et les « soft skills » (tout le reste, et qu’on affirme souvent sans preuve).
L’upskilling
On entend de plus en plus parler d’upskilling et, comme toujours devant l’apparition de ces nouveaux mots, j’ai un petit a priori et je me demande si on ne nous vend pas des choses bien connues ou évidentes, simplement repackagées. Force est d’admettre qu’au visionnage de la vidéo ci-dessous, consacrée entièrement à ce concept et diffusée sur l’excellent Xerfi Canal, mon doute n’a fait que croitre.
Alors, quelle est cette nouvelle mode pour laquelle les services RH des grands groupes vont rapidement sortir leur carnet de chèques et leurs dirigeants multiplier les séances de coaching ?
L’intervenant le dit lui-même, un terme anglais a été préféré à un mot français (qui aurait pu être « entreprise apprenante » ou « montée en compétences ») afin de donner une impression de « globalité » de la démarche. Traduisons le : le terme anglais permet de maintenir le flou sur l’étendue du concept. On ne sait pas trop de quoi on parle et cela est confirmé par la suite de la vidéo : formation, organisation, transition numérique, coaching des dirigeants et exemplarité, rapidité des transformations organisationnelle, … Tout cela semble faire partie de ce concept flou d’upskilling.
L’organisation en tant que telle n’a aucune intelligenceEncore une fois, les RH sont au centre de la mise en œuvre de ce nouveau concept. On leur demande d’aller plus loin que la formation, qui est présentée comme « insuffisante » pour exploiter « l’intelligence collective » de l’organisation. Réapparait ici le fameux concept d’intelligence collective, évoqué par tous comme une vérité mais derrière lequel se cache le plus souvent l’idée simple « qu’il y en a plus dans plusieurs têtes que dans une seule ». Quiconque a déjà assisté à certaines compétitions sportives ou à des mouvements de foules sait que l’intelligence est individuelle, jamais collective. L’intelligence collective, ce sont simplement des individus qui collaborent. L’organisation en tant que telle n’a pas d’intelligence, quoi qu’en disent les gourous sur le sujet. C’est ce qui explique que l’organisation n’apprend pas réellement. Tout est fragile et dépend des équipes en place. Les efforts doivent être refaits à chaque fois que les individus changent.
Avec l’upskilling, la promesse est de « mettre tout le monde en situation d’apprentissage continu ». Et donc de maintenir en permanence une pression sur chacun des collaborateurs. Sont-ils encore assez formés ? Correspondent-ils aux besoins de l’entreprise ? La perversion du système est qu’il se présente comme un moyen d’accompagner les collaborateurs dans leur évolution, et qu’il cache ainsi sa cruauté intrinsèque derrière un paravent de bienveillance : le manque d’adaptation du collaborateur devient la faute de celui-ci, pas de l’entreprise.
L’idée pour les vendeurs de ce nouveau concept est finalement de tirer partie de l’intensification de la concurrence mondiale qui laisse beaucoup d’entreprises dans le désarroi en leur fournissant un ensemble de concepts alliant fausses évidences et illusion d’avoir prise sur le réel.
Les mad skills
Les dernières secondes de la vidéo vous ont peut-être fait peur en annonçant, après l’upskilling, le cross-skilling, le risk-skilling ou encore le cost-skilling, mais il est temps d’aborder une autre notion encore plus fumeuse, les « mad skills ».
le concept de « mad skills » s’appuie sur les représentations, les a priori et les clichés du recruteurBon alors les « mad skills », ce sont littéralement des « compétences folles » et les services RH en sont devenus fous. Parfois on les appelle aussi les « compétences loisirs » (mais ça fait moins sérieux, cf. les anglicismes ci-dessus). Ce sont des aptitudes que l’on peut déduire de la pratique d’un sport, d’un hobby, d’une expérience, d’un traumatisme, … et pouvant avoir une forte valeur ajoutée dans le cadre du travail. D’une candidate sapeur pompier volontaire, un recruteur pourra déduire une capacité à s’imposer dans un milieu masculin, une volonté d’aider son prochain, une capacité à résister au stress et à prendre des décisions rapidement, … Et d’un candidat qui passe ses week-ends à réparer, démonter et remonter des montres, un recruteur supposera sans doute qu’il est capable de patience, de précision et serait idéal pour le management d’une équipe d’hypersensibles.
On le voit, ce concept de « mad skills » s’appuie sur les représentations, les a priori et les clichés du recruteur et peine à constituer un complément d’informations sérieux au profilage du candidat. En plus de n’être qu’une validation de stéréotype, ajoutons que les « mad skills », en ce qu’ils s’intéressent aux parcours extra-scolaire et professionnels des candidats, ne sont pas du tout quelque chose de nouveau. Depuis toujours les CV comportent une zone « hobbies » ou « autres » qui permettent aux candidats de faire valoir leurs compétences ou expériences particulières. Et les entretiens avec les candidats ont précisément ce rôle d’aller plus loin que ce qui est écrit sur le CV.
Bref, encore une petite mode. Inutile.