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Antoine le Fèvre dirige le bureau nantais du cabinet EPIGO, qui accompagne depuis 30 ans ceux qui cherchent à entreprendre. Il a accordé un entretien aux Cahiers de l’Innovation pour évoquer une tendance qui émerge et se renforce depuis quelques années : l’intrapreneuriat. C’est ainsi qu’on appelle souvent souvent le développement dans les grands groupes de pratiques et méthodes provenant des startups. Cet entretien avec Antoine vous permettra d’en découvrir plus sur cette tendance qui revêt dans les faits des réalités diverses, à commencer par la définition de ce qu’est un intrapreneur.
Antoine, pour vous, un intrapreneur, c’est quoi ?
Les définitions sont multiples. Citons :
L’intrapreneur est celui qui transforme une idée en activité rentable au sein d’une organisation
L’intrapreneuriat, c’est la contraction des termes « interne » et « entrepreneuriat », car cela consiste en le développement d’un projet au caractère novateur, porté par un salarié au sein d’une entreprise, en accord et avec tout le soutien de sa direction.
L’intrapreneur : un collaborateur qui fait des choses [travaille sur un projet innovant] de sa propre initiative au sein d’une organisation déjà existante. Une sorte de chef de projet amélioré. La différence est qu’il doit prendre en considération des éléments dont il n’avait pas à se soucier auparavant, comme gérer un budget.
Mais la notion d’intraprenariat est née dans les grands groupes, non ?
Oui, les grandes entreprises font aujourd’hui face à la difficulté d’innover et d’impliquer leurs salariés. Dans un monde imprédictible, leur fonctionnement semble à bout de souffle. Des raisons structurelles les rendent vulnérables à l’émergence d’acteurs plus innovants :
- L’objectif de maximiser la valeur pour l’actionnaire les poussent à se focaliser sur certains KPI financiers qui rendent l’innovation de long terme plus difficile. Diminuer les budgets de R&D, les investissements de long terme, outsourcer la production… ces actions valorisent les KPI financiers mais rendent difficile l’innovation de long terme
- Les dirigeants des grandes entreprises sont souvent ceux qui excellent en finance, en supply chain, en production et donc dans l’optimisation de l’existant. Centrés sur le business model existant, ils ont du mal à voir celui qui pourra les menacer.
Mais alors, qu’est-ce qui rend les startups meilleures que les grands groupes ?
Face aux grandes entreprises, les startups, aidées par l’argent du capital risque, parviennent à attirer des profils experts et à innover plus rapidement. Cela est dû en partie aux méthodes plus agiles qu’elles utilisent, mais aussi et surtout à leur nature, opposée à celle des grands groupes. En reprenant la définition de Steve Blank :
- Une startup est une organisation temporaire conçue pour chercher un business model répétable et scalable
- Une grande entreprise est une organisation permanente conçue pour exécuter un business model répétable et scalable
D’après cette définition, les 2 types d’organisation ont donc des natures différentes, des objectifs différents et des capacités différentes.
La force des grandes entreprises, cette capacité à exécuter un business model éprouvé et à optimiser l’existant est aussi ce qui fait leur faiblesse : la difficulté à innover et à attirer certains des profils les plus courus.
La grande entreprise doit donc acquérir cette capacité propre aux startups, mais comment ?
Les grandes entreprises qui ont identifié le problème s’orientent vers différentes solutions : acheter des startups, monter un incubateur et les accueillir ou encore développer l’intrapreneuriat en interne.
A EPIGO, c’est notamment cette troisième solution que nous avons l’occasion d’accompagner dans les grands groupes.
Oui, c’est ce vous appelez « devenir ambidextre », non ?
Oui, il s’agit d’apprendre à chercher de nouveaux business models tout en exécutant son business model actuel. Une des réponses des grands groupes à leurs problématiques d’attractivité et d’innovation consiste à tenter d’internaliser la capacité des startupers à chercher de nouveaux business models. C’est l’objet de l’intrapreneuriat.
Cependant, les grands groupes ne peuvent se permettre (même s’ils y arrivaient) de se transformer en startup et de dédier tout leur effort à cette recherche de nouveaux business models. Ils doivent en effet continuer à (bien) exécuter leur business model et à l’optimiser pour « remplir la marmite ».
La problématique qui est la leur est donc de réussir à développer de nouvelles pratiques en parallèle des anciennes. Il s’agit donc de devenir une organisation ambidextre.
Et concrètement, comment faire pour favoriser l’intrapreneuriat ?
Nous identifions 3 grands défis pour parvenir à cet objectif :
- Générer une capacité à chercher de nouveaux business models. L’activité de recherche, propre aux startups, est complexe en soi et d’autant plus au sein d’une organisation existante. Quelques axes clés de la réussite de la mise en place d’une démarche intrapreneuriale réussie, qui doit reposer sur des critères de succès spécifiques :
Exemple de démarche : l’intrapreneur studio lancé à Orange, que nous avons accompagné, dans sa conception et en tant que coachs sur le design et le test du business model des projets.
Atttention ! Même si ces actions sont nécessaires, elles sont loin d’être suffisantes ! Nombreux sont les exemples de démarches intrapreneuriales qui végètent ou qui sont « tuées » par le reste de l’entreprise. Il ne s’agit pas uniquement de mettre sur pied une cellule ou des équipes sachant chercher des business models. Il faut aussi anticiper les chocs culturels que l’intrapreneuriat va générer (défi 2) et mettre en place une organisation qui permette les synergies, entre les intrapreneurs et le reste de l’organisation.
- Faire face aux chocs culturels et à la résistance de l’organisation. Nous nommons « mode recherche » et « mode exécution » les 2 modes de fonctionnement typiques des startups et des grands groupes.
Ces 2 modes sont complémentaires et antagonistes. Sans accompagnement, le développement d’une pratique de l’intrapreneuriat en mode recherche sera naturellement « étouffée » par le mode exécution, de par leur position de force respective dans l’organisation et leurs natures. Et, inversement, le mode recherche aura tendance à dédaigner le mode exécution, comme un fonctionnement raide, archaïque. Il s’agit donc de traduire et de sensibiliser aux 2 modes ou cultures. Faire en sorte que le mode exécution laisse exister le mode recherche, qu’il comprenne son intérêt pour l’entreprise et que le mode recherche internalise une partie des contraintes du mode exécution.
- Développer des synergies avec l’organisation et ancrer la démarche dans le temps. Au-delà de la nécessaire prise en compte des divergences culturelles entre les modes recherche et exécution, il s’agit aussi de penser le leadership, le management et l’organisation qui vont permettre le fonctionnement ambidextre de l’organisation et les synergies entre les modes.
En effet, sans implication claire de la direction et sans compréhension partagée parmi les top managers de la nécessité des 2 modes, les démarches intrapreneuriales sont vouées à l’échec, ou à n’être que des gadgets.
Merci pour toutes ces précisions. Quelle est finalement la différence entre un intrapreneur et un chef de projet ?
Il ne s’agit pas d’une différence de degré (l’intrapreneur serait plus autonome) mais bien d’une différence de nature ! Chercher un business model, c’est initier un projet selon des conditions très particulières, qui implique, certes, de prendre en compte plus de paramètres que pour un chef de projet classique, mais qui nécessite surtout de fonctionner dans l’inconnu, dans une démarche d’alternance de phases de design et de test.
Quel est le lien entre l’intrapreneuriat et l’innovation ? Un intrapreneur travaille-t-il nécessairement sur un projet innovant ?
L’intrapreneuriat a à voir avec l’innovation de business model. Il ne s’agit pas nécessairement d’innovation technologique, mais de chercher, via une alternance de design et de test, et de trouver un nouveau système pour « créer de la valeur ».
Quel est le lien entre les initiatives individuelles d’intrapreneurs, façon « corporate hacking » et la stratégie de l’entreprise ?
La mise en place de l’intrapreneuriat doit reposer sur les initiatives individuelles, les envies de salariés. Mais, cette condition nécessaire n’est pas suffisante pour permettre à la démarche de fournir des résultats effectifs. Il faut pour cela que ces initiatives soient comprises au sein d’une stratégie plus globale, qui permet à l’organisation de fonctionner de manière ambidextre.
Est-ce que demain, tous les managers devront devenir intrapreneur ?
Non ! Toute entreprise doit se soucier du mode exécution. Les managers « classiques » ont de beaux jours devant eux… à condition de prendre en compte l’existence du mode recherche.
Et, enfin, comment et pourquoi favoriser l’intrapreneuriat ?
Favoriser l’intrapreneuriat nécessite d’identifier les initiatives déjà existantes et de les protéger, en leur fournissant un cadre spécifique. Il importe aussi de convaincre l’ensemble de l’organisation de l’importance du mode recherche. Cela permettra un certain nombre de bénéfices, tant au niveau des débouchés du mode recherche (nouvelles lignes de business, excubation de projets, transformation possible du business model de l’entreprise) que du reste de l’entreprise (rétention des talents, mise en place de nouvelles manières de coopérer et évolution de la culture d’entreprise).
A propos d’Antoine le Fèvre
Antoine est facilitateur chez EPIGO, en charge du bureau nantais.
Dans des contextes particuliers comportant de fortes incertitudes (situations complexes, nécessité de se transformer, démarrage de projet, nécessité de générer du consensus et d’embarquer tout le monde, blocages), il conçoit et anime des ateliers collaboratifs pour aider ses clients à entreprendre, c’est-à-dire passer à l’action, collectivement.
Pour en savoir plus sur l’intrapreneuriat
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