Face à la profusion de l’offre actuelle, créer des applications en ligne qui aient de l’audience et du succès est devenu une gageure. Plus les technologies et les compétences se répandent, plus il devient aisé pour une petite entreprise, une startup ou même un particulier de développer une offre en ligne. Mais plus il devient parallèlement difficile de sortir du lot et, pour les applications disponibles sur les « market places » Android ou Apple, d’apparaître sur les premières pages de résultat de recherche.
On ne parle plus que d’usage et, si tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’importance de la prise en compte de la valeur d’usage comme condition du succès d’une innovation ou d’une application en ligne, les modes d’emploi concrets et simples pour y parvenir sont peu nombreux. L’occasion de poser la question à Erik Emotte, spécialiste des applications en ligne et de leurs conditions d’appropriation et de succès.
Pourriez-vous revenir sur l’incroyable développement des applications en ligne.
De grandes applications en ligne se sont imposées ces dernières années pour le grand public. Pensons par exemple à Facebook, Google Drive, Twitter, LinkedIn ou encore Airbnb. Nous assistons au même phénomène qu’il y a quelques années avec le e-commerce, un développement exponentiel d’applications dans tous les domaines.
Ce phénomène est tiré aujourd’hui par l’ubérisation de l’économie. Il devient en effet possible de mettre en relation directe, à tout moment, en tout lieu et de n’importe quel terminal (ATAWAD pour any time, anywhere et any device) des utilisateurs entre eux via des applications en ligne, comme le fait Uber entre des véhicules de tourisme avec chauffeur et des particuliers.
Pour donner une idée de l’ampleur de ce phénomène, il y avait sur PlayStore, la plateforme d’applications en ligne de Google, 1,4 millions d’applications téléchargeables en 2014 avec un doublement de ce nombre cette année là et 1,2 millions d’applications en ligne sur AppStore, la plateforme d’Apple. Selon Statista, ces chiffres s’élèvent mi-2016 à 2,2 millions d’applications pour PlayStore et à 2 millions pour App Store.
Comment expliquer ce phénomène ?
En fait, il faut se pencher sur un changement de paradigme qui s’est produit il y a environ une vingtaine d’années dans le développement informatique avec la montée en puissance de Linux, de l’internet et des logiciels libres[ref]Un logiciel libre est un logiciel dont l’utilisation, l’étude, la modification et la duplication en vue de sa diffusion sont permises, techniquement et légalement. Ceci afin de garantir certaines libertés induites, dont le contrôle du programme par l’utilisateur et la possibilité de partage entre individus.[/ref].
Auparavant, la maîtrise des technologies liées à l’informatique donnait un avantage concurrentiel indéniable. Elle permettait de se mettre à l’abri de ses concurrents pendant plusieurs années. Aujourd’hui les framework open source, qui sont des ensembles structurés de composants logiciels dont le code source est en accès libre, sont téléchargeables gratuitement sur Internet. C’est le cas, par exemple, de Symfony en PHP, de Django ou Pyramid en Python ou de Ruby on Rails. Ces frameworks donnent la possibilité à tout à chacun de développer des applications en ligne. Il faut cependant bien sûr savoir programmer un minimum.
C’est ainsi que les barrières technologiques à l’entrée sont tombées. Des petites équipes de développeurs, voire des développeurs isolés, sont capables de réaliser désormais des applications en ligne techniquement de qualité à des coûts logiciels quasi nuls. Cela a aussi comme conséquence un développement incroyable d’applications en ligne. Dans tous les domaines dans un laps de temps extrêmement court …
Qu’est-ce que cela implique pour un nouvel entrant sur le marché ?
Comme pour l’e-commerce, l’éditeur d’une application en ligne doit se démarquer, s’il veut avoir une chance d’exister. Il doit ainsi proposer quelque chose qui n’existe nulle part ailleurs ou qui apporte une réelle plus-value à ses utilisateurs. Il est clair que certains services en ligne sont dès à présent assurés par des acteurs mondiaux. Pensez à Airbnb, Booking ou Tripadvisor dans le tourisme ou encore Spotify, Deezer, Apple Musique ou Google Play dans la musique. Mais de nombreux domaines restent encore à couvrir. Je pense notamment au BtoB (Business to Business). Il y a toujours moyen de se différencier, du moment qu’on s’appuie sur une offre originale qui apporte une vraie valeur ajoutée aux utilisateurs.
Je vais prendre l’exemple du tourisme que je connais bien. S’il y a maintenant des acteurs mondiaux qui deviennent incontournables, il n’en demeure pas moins que chaque destination touristique peut proposer sa propre application en ligne et proposer des services extrêmement ciblés sur sa destination.
C’est le cas, par exemple, des applications mobiles développées par l’agence Mobitour pour les Offices de Tourisme, cette agence propose un catalogue de plus de 120 applications par destinations touristiques, téléchargeables sur Play Store et App Store. Le succès de l’application se construit progressivement, porté par des contenus ciblés et de qualité.
Sans plus-value pour les utilisateurs, point de salut ?
Oui, l’utilisateur est l’élément clé pour réussir dans ce secteur. C’est d’ailleurs l’un des principaux critères de valorisation des applications en ligne aujourd’hui. C’est parce que vous avez des utilisateurs que vous pourrez facturer des abonnés, prendre des commissions sur des transactions ou valoriser une audience auprès d’annonceurs.
Mais malheureusement et aussi curieux que cela puisse paraître, ceux qui se lancent n’en sont pas toujours conscients. C’est notamment vrai dans les applications grand public liées aux objets connectés. S’il est possible dorénavant d’imaginer interagir avec n’importe quel objet de son environnement, beaucoup ne se posent pas la question de savoir pourquoi de futurs utilisateurs le feraient.
Un exemple parmi d’autres : j’ai récemment trouvé une glacière connectée vendue 2.700 €. Jusqu’à présent, une glacière avait comme fonction de tenir au frais les aliments et les boissons. Celle-ci intègre en plus des enceintes pour écouter de la musique via une application en ligne. On peut légitimement se demander qui est prêt à payer un tel prix pour un tel objet. En effet, vous avez une multitude d’appareils qui vous offrent pour 2700€ une qualité de son exceptionnelle, en parfaite mobilité, sans avoir à vous encombrer d’une glacière !
Comment s’assurer qu’une application répond bien aux besoins des utilisateurs ?
C’est simple, il suffit de s’assurer que l’application répond à un réel problème et que des clients potentiels sont prêts à payer pour que cette application voit le jour. C’est l’un des principes qui est à l’origine du mouvement Lean Startup né aux États-Unis. Le Lean Startup est parti du constat que de nombreuses startups développaient des solutions sans même savoir si de futurs utilisateurs y avaient un quelconque intérêt.
Premièrement, il faut savoir à qui on veut s’adresser et pourquoi. Il est nécessaire de le vérifier avant d’imaginer des fonctionnalités ou des interfaces. Il faut s’assurer que la problématique traitée mérite de l’être. Qui sont les personnes prêtes à payer pour notre service ? Sont-elles assez nombreuses ?
Une fois que c’est le cas, il faut réussir à impliquer les futurs utilisateurs au projet pour avoir régulièrement des retours sur ce qui est envisagé et pour disposer aussi, dès le lancement de l’application, d’une communauté d’utilisateurs prêts à franchir le pas. C’est cette philosophie qui explique le succès des plateformes de crowdfunding.
http://www.lescahiersdelinnovation.com/2015/04/le-crowdfunding-etat-des-lieux-et-mode-demploi-interview-de-houria-saoudi/
Et comment s’y prendre ?
Il y a différents niveaux d’implication possibles des utilisateurs, on peut les regrouper en quatre niveaux.
- Le premier, le plus simple, est de tenir informé les utilisateurs potentiels de l’avancée du projet. Il suffit pour cela d’envoyer régulièrement des mails à l’ensemble des personnes concernées.
- Le second est de mettre en place, via un réseau social comme Facebook par exemple, un site qui présente les dernières nouveautés du projet. Cet espace permet aux personnes intéressés d’y mettre des appréciations ou de faire des commentaires. L’interaction avec les utilisateurs potentiels est déjà plus forte. L’espace est aussi ouvert à d’autres personnes, ce qui permet d’avoir des retours réguliers.
- Le troisième est d’aller plus loin et de prévoir pour certains choix une réelle concertation des futurs utilisateurs avant que les décisions soient prises. Il s’agit de leur permettre par exemple de voter entre différentes options possibles ou de réagir à différents choix. L’idée ici est que les utilisateurs potentiels puissent s’exprimer sur différentes possibilités. Ils n’ont cependant pour autant pas de pouvoir de décision, celui-ci reste dans les mains des concepteurs.
- Enfin le dernier, le plus participatif, est de constituer une gouvernance partagée avec de futurs utilisateurs où certaines décisions du projet sont prises ensemble d’un commun accord. Les décisions à prendre sont préalablement débattues et votées avant qu’elles soient mises en œuvre dans le projet.
Quelles sont les étapes à respecter pour concevoir une application ?
La conception d’une application peut s’organiser en quatre grandes étapes.
- La première porte sur la clarification des enjeux. L’objectif est de savoir précisément quel problème on veut traiter. Pour qui ? Qui va interagir, pour faire quoi et à quel prix ? L’approche Lean Startup propose l’utilisation de Lean Canvas, ce qui permet d’avoir une vue d’ensemble de son projet et d’en déterminer les éléments clés. Cela passe par la réalisation d’entretiens avec des utilisateurs potentiels et des experts.
- La seconde étape consiste à explorer les usages à mettre en œuvre pour que le problème soit résolu. On définit exactement qui fait quoi, pourquoi et comment. La méthode utilisée est de décrire comment chaque profil d’utilisateur va utiliser l’application, avec des scénarios d’usage. Pour y arriver, le mieux est de constituer des petits groupes avec d’un côté des utilisateurs potentiels et de l’autre les concepteurs de l’application.
- La troisième étape est de spécifier l’application au plan fonctionnel et de définir l’ergonomie et le graphisme des interfaces. Cela permettra d’aboutir à des instructions précises pour les développeurs et les graphistes. Pour y arriver, les concepteurs de l’application réalisent des premières maquettes. Ces maquettes sont présentées aux futurs utilisateurs, afin de voir leur réactions. Elles sont retravaillées jusqu’à ce qu’elles correspondent parfaitement à ce qu’il est souhaitable d’avoir.
- Pour finir, la dernière étape est de réaliser l’application de manière itérative. On développe d’abord un premier pilote qu’on met très vite dans les mains de premiers utilisateurs pour avoir leurs réactions. Les bugs sont corrigés et l’ergonomie des interfaces adaptées. On enrichit ensuite l’application avec de nouvelles interfaces et fonctionnalités. On aboutit progressivement à une application de plus en plus complète.
Pour finir, quels conseils donner à une startup qui a un projet d’application ?
Le premier conseil est de savoir exactement quel problème elle souhaite traiter et pour quelle raison. Qui est concerné par ce problème ? Qui va payer pour l’usage de l’application. Sans réponses claires, il ne sert à rien de poursuivre le projet et de consommer inutilement du temps et de l’argent.
Le second conseil est d’impliquer le plus tôt possible les utilisateurs dans la conception puis la réalisation de l’application. Il s’agit d’être toujours en phase avec le marché visé. Cela permet de disposer dès le lancement d’une communauté d’utilisateurs prêts à franchir le pas.
Le troisième est de toujours commencer par une ébauche de réalisation avant d’engager des moyens plus importants et d’envisager des réalisations à grande échelle. Cette ébauche permet ainsi d’obtenir des avis externes et de vérifier que ce qui est envisagé va dans la bonne voie ou au contraire nécessite d’être revu.
Le quatrième est d’avoir le plus rapidement possible des engagements d’utilisateurs et des revenus. Cela permet d’être sûr qu’il y ait un marché potentiel pour l’application envisagée. Il est généralement utile, avant même la réalisation, de proposer des services à des utilisateurs potentiels. Là encore, cela permet de mieux connaître leurs besoins et leurs attentes.
Erik Emotte intervient aujourd’hui en tant qu’expert conseil en codesign et webmarketing pour des applications en ligne, web ou mobiles. Il intervient notamment auprès du Comité Régional du Tourisme Nord-Pas de Calais sur la plateforme collaborative l’Atelier du tourisme. Il a aussi participé dernièrement à la conception d’une application participative dont le premier client est l’une des filiales du groupe Engie, ex Gdf-Suez.
Pour en savoir plus sur ses interventions, vous pouvez consulter son profil LinkedIn.
Pour en savoir plus
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