Echouer est indispensable pour innover

Échouer est indispensable pour innover

Si vous êtes un peu ouverts sur les modes du moment, vous n’avez pas pu passer à côté. Les discours sur l’évaluation positive à l’école, l’esprit startup et ses « pivots », le design thinking et son prototypage, tout concourt à valoriser l’échec et à considérer qu’échouer est indispensable pour innover et réussir. « Ceux qui réussissent ont échoué souvent », « aimez vos échecs », « l’échec n’est pas le contraire de la réussite, il en fait partie », etc. On ne compte plus les mots d’ordre bienveillants et les encouragements de la part de gourous linkedisés, face à ce qui rendait honteux il n’y a pas si longtemps.

Cette évolution est bonne car elle corrige un ostracisme ridicule envers des personnes dont le seul tort était d’avoir osé et pris des risques. Mais comme souvent avec les modes, le risque est de répéter des phrases toutes faites sans même s’interroger sur les valeurs qu’elles véhiculent. Il est aussi de remplacer une injonction néfaste par une autre. Alors oui, l’échec est utile pour innover, mais pourquoi ?

Si vous savez qui sont Thémis, Noumaïos et Guesch Patti, vous venez comme moi d’une époque où l’échec était impardonnable. Tout le système scolaire et éducatif sanctionnait les réponses des élèves. L’idée que l’école permettait surtout de trier qui était intelligent de qui ne l’était pas était ancré dans beaucoup d’esprits de parents comme d’enseignants.

Le changement a été progressif mais il est maintenant bien installé et le consensus est là : non seulement ce n’est pas grave mais échouer est indispensable. Bien sur, l’échec correspond à des expériences qui permettent des apprentissages nécessaires au futurs succès. Mais plus fondamentalement, il participe à l’émergence de l’innovation car il nous fait « redescendre sur terre », nous oblige à oublier quelques certitudes et à écouter les autres.

Échouer nous fait comprendre qu’on n’est pas moins bête que les autres

On a beau se dire qu’échouer est indispensable, il est normal de ne pas aimer l’échec, et donc le risque qui pourrait aboutir à l’échec, car nous n’aimons ni ce que l’échec dit de nous aux autres (« il est faillible ») ni ce qu’il nous dit de nous-mêmes (« tu n’es pas parfait »). Echouer nous replace donc à la même hauteur que les autres, alors que chacun le sait, nous n’avons rien à voir avec toutes ces personnes imparfaites :-).

Ceci est encore plus vrai pour ceux qui n’ont pas eu la chance de connaitre l’échec très jeune. La mauvaise note, l’humiliation devant les autres élèves, l’angoisse devant un exercice incompréhensible, tout ce qui vous relie aux élèves souffrants. Quand vous avez été valorisé par vôtre entourage et l’institution scolaire comme faisant partie de ceux qui « réussissent », l’idée de réussite devient une partie de vous même et constitutive de votre identité. La chute est d’autant plus violente qu’elle arrive tard. Vous ne savez pas que vous étiez normal et vous vivez alors votre banalité comme la marque d’un échec.

Je n’ai eu ce sentiment d’échec que tardivement, sûrement quand ma moyenne en mathématiques est passé de 19,5 à 2, entre la terminale et la classe préparatoire. L’expérience a été violente mais, ce que j’en retiens finalement, c’est que pour la première fois je me suis senti en communion avec la condition des autres élèves. La démolition méthodique des illusions sur lesquels tenait mon ego, pour douloureuse qu’elle fut, est l’apport principal de ces échecs.

Écouter vraiment les autres

On a toujours tendance à ne prendre des opinions des autres que ce qui, finalement, conforte les nôtres

J’ai chéri par la suite ce sentiment d’échec. Ressentir qu’on a besoin des autres pour réussir et que leur opinion et leurs idées dépassaient ce que j’étais en capacité de percevoir est la première étape pour les écouter vraiment. L’écoute véritable des avis des autres est loin d’être naturelle. On a toujours tendance à ne prendre des opinions des autres que ce qui, finalement, conforte les nôtres.

Les créateurs de startups ou de projets innovants que je reçois semblent parfois avoir besoin d’un ego boursouflé pour trouver l’énergie de mener à bien leur entreprise. Le pendant est alors une incapacité à considérer le conseil qui leur est prodigué comme une véritable main tendue et pas comme une critique dissimulée. Ils sont sans cesse pris dans cette contradiction : écouter les autres pour éviter les écueils et ne pas rester dans la bulle de leur propre contentement, du récit sur la réussite et sur eux-mêmes qu’ils se sont construit. Mais aussi, avancer. Avancer parfois contre les avis des autres et être obligés de se boucher les oreilles à la cire pour ne plus entendre les discours trompeurs qui les enverront se fracasser sur les récifs. Les innovateurs naviguent sans cesse entre l’écoute sincère de l’avis des autres et la fermeture sur la certitude de détenir une part de vérité que les autres n’ont pas encore perçue.

Faites le test, forcez-vous à ne pas donner votre avis dans une réunion, y compris et surtout lorsque vous êtes persuadés que ce qui se dit est idiot ou que vous pourriez apporter quelque chose d’important et faire avancer les choses. Il y a toutes les chances, que, si votre idée était bonne, elle finisse par émerger sans votre aide et que, dans le cas contraire, vous finissiez par vous en apercevoir avant d’avoir dû l’exprimer. 9 fois sur 10, votre volonté d’intervenir n’était que celle de votre égo.

Accepter d’être imparfait

L’idée que l’échec n’est pas de notre faute est souvent notre première réaction. C’est un mécanisme de défense qu’on retrouve chez les tout petits où le premier réflexe, face au froncement de sourcils d’une maman courroucée, est pour l’enfant de pointer du doigt un autre enfant, souvent absolument innocent. C’est un réflexe que nous conservons toute notre vie. Nous avons échoué mais c’était la faute de quelqu’un d’autre ou des circonstances, de l’organisation, de son chef, des traumatismes de son enfance, la faute à « pas de chance ». Si nous nous identifions avec nos réussites, parce que c’est valorisant, nous sommes face à un problème lorsque nous rencontrons l’échec. Une solution est donc de refuser d’être défini uniquement par nos accomplissements.

Vous avez réussi, vous avez échoué également. Rien de tout cela ne modifie votre dignité ou l’estime que vous devriez porter à vous même. Échouer est indispensable, mais réussir aussi 🙂 Il faut donc embrasser ses échecs autant que ses réussites, comme autant d’expériences qui peuvent nourrir notre réflexion et faire avancer nos projets. Il y a un vrai soulagement à ne pas faire l’impasse sur ses échecs, à les regarder en face comme des expériences tout autant valables que ses réussites. Cela permet de déconstruire le récit que l’on écrit sur soi-même pour se présenter à son avantage, le mensonge qui nous tranquillise mais finalement nous aveugle.

Échouer pour être aidé

L’innovation est liée à l’échec. Intrinsèquement. Elle est portée par des personnes qui savent et acceptent qu’elles sont vulnérables. C’est l’acceptation de cette faiblesse qui fait leur force. Rien n’est plus difficile, en particulier dans le monde professionnel, que d’accepter de ne pas tout savoir, d’être dépassé par les évènements, de demander de l’aide. Il faut être puissant pour s’ouvrir de ces problèmes et accepté d’être aidé. Quand on innove, on explore des terrains inconnus qui, fatalement, nous plongent dans la vulnérabilité. Que dois-je faire ? Je n’y comprends rien. Je n’ai aucune référence à laquelle me raccrocher. J’ai peur d’échouer. Il faut alors réussir à ne pas « jouer au fort » et à accepter de demander de l’aide.

Échouer est indispensable pour innover, oui. Mais pas uniquement parce qu’on pourra « capitaliser » sur l’expérience et l’information que nous aura fournies cet échec. Plus profondément, l’échec (ou l’idée de l’échec) contribue à améliorer notre capacité à écouter les autres, à accepter leur aide et à avoir une image de nous-mêmes débarrassée de certaines illusions. Comme autant de petites failles narcissiques par lesquelles peut passer un peu de lumière.

Pour en savoir plus

Un ouvrage de Charles Pépin, les vertus de l’échec.

[Quelques autres ouvrage sur le thème de l’innovation, du management et des attitudes à adopter.

[asa_collection tpl= book, items=5, type=random]entrepriseliberee[/asa_collection]