L’hydrogène est de plus en plus souvent présenté comme un atout en matière de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Connu depuis des siècles, il est actuellement utilisé dans des secteurs aussi différents que le raffinage, la fabrication d’engrais ou l’exploration spatiale. Grâce aux avancées technologiques récentes dans sa production par électrolyse et l’amélioration des performances des piles à combustibles, on envisage une utilisation massive de ce nouveau vecteur d’énergie « propre » dans le secteur des transports. Sur le papier l’équation paraît simple, en pratique ça l’est moins, notamment à cause de la taille des infrastructures de production d’électricité décarbonée qu’il faudrait déployer.
- Dans cet article
- De l’air inflammable l’hydrogène énergétique, technique et industriel
- Production de l’Hydrogène
- Efforts de Recherche et Développement
- Le marché
- L’écosystème Hydrogène
- Les défis de la mobilité H2
L’Hydrogène, élément chimique le plus élémentaire, est le principal constituant de l’univers dont il représente 75% de la matière en masse, et plus de 90% en nombre d’atomes.On le trouve principalement dans les étoiles et les géants de gaz. Sur notre planète il est combiné avec d’autres atomes pour former d’innombrables molécules comme l’eau, les matières organiques, les hydrocarbures etc.
L’Hydrogène gazeux, aussi appelé dihydrogène, résulte de l’association de deux atomes d’hydrogène. Il est très rare dans l’atmosphère terrestre (0,5 ppm) et pratiquement inexistant sur la surface de la Terre et dans son sous-sol.
De l’air inflammable l’hydrogène énergétique, technique et industriel
Les premières observations de « l’air inflammable » datent du XVIème siècle, c’est à partir de 1766 qu’il a été étudié par l’anglais Henry Cavendish et en 1783 Antoine Lavoisier découvre que l’air inflammable réagit avec l’oxygène pour former de l’eau et le nomme hydrogène, du grec « formeur d’eau « .
L’hydrogène a d’abord été utilisé comme gaz pour gonfler les premiers ballons après l’essai réussi de Jacques Alexandre César Charles en 1783 . Au début du XXème siècle il a été employé dans les dirigeables jusqu’au dramatique accident du « Hindenburg » en 1937 (depuis, il est remplacé par l’Hélium pour gonfler ces aéronefs). La découverte en 1800 du gaz de houille, dont le dihydrogène est le premier constituant en volume, permet le développement l’éclairage public dès 1812. Le premier moteur à combustion interne alimenté par du gaz de houille est inventé en 1804 par François Isaac de Rivaz qui le monta sur un véhicule automobile en 1807 et en 1859 Etienne Lenoir conçoit le premier moteur deux temps fonctionnant au gaz.
Les progrès des techniques de production de dihydrogène pur en grandes quantités ont permis le développement de nombreuses applications industrielles :
- Raffinage de produits pétroliers pour la purification de produits et la conversions de fuels lourds en produits plus légers (essence ou gazole) ;
- Industrie chimique pour la production d’ammoniac utilisé dans la fabrication des engrais et plus marginalement de nombreux composés organiques (méthanol, eau oxygénée, amines..) ;
- Matériaux : traitement thermique des métaux, fabrication du verre ;
- Aérospatial : dans les moteurs-fusées à propergols liquides où le dihydrogène est mélangé à de l’oxygène.
Production de l’Hydrogène
Comme il n’existe pas à l’état naturel le dihydrogène doit être synthétisé.Actuellement la production mondiale d’hydrogène gazeux s’élève à 50 Mt en 2015, dont 49 % provient du vaporeformage du méthane, 29 % de l’oxydation partielle du pétrole, 18 % de la gazéification du charbon et 4 % de l’électrolyse de l’eau
Les trois premières méthodes de production organiques ont un rendement énergétique de conversion est compris entre 45 et 80 % avec un coût de 1,5 à 2 € /kg. Ces modes de production mobilisent des combustibles générateurs de gaz à effet de serre : près de 830 Mt de CO2 par an dans le monde dont 11,5 millions de tonnes par an en France (données 2019). L’hydrogène produit de cette façon est appelé « hydrogène gris », ou « hydrogène bleu » s’il y a capture du CO2 dans ces procédés de production
L’électrolyse de l’eau la décompose en dioxygène et dihydrogène grâce à un courant électrique continu. Son rendement énergétique atteint 40 % à 80 % si la chaleur dégagée par la l’opération est valorisée (NB l’énergie perdue lors de la génération de l’électricité n’est pas comptabilisée). Ce procédé se caractérise par sa neutralité carbone à condition que l’électricité utilisée le soit aussi. On parle alors d’ « hydrogène vert » si l’électricité provient d’énergies renouvelables ou d’ »hydrogène jaune » s’il est produit avec de l’électricité provenant de centrales nucléaires. Le coût de l’hydrogène produit par électrolyse est de 4 à 7 € par kg selon les évaluations et dépend étroitement du coût de électricité utilisée pour le produire.
Bien que le recours à l’hydrogène vert est encore marginal, il apporte des informations utiles quant aux principaux avantages et inconvénients de ce vecteur d’énergie : pas de production de CO2 ni d’oxydes d’Azote (NOx) si l’ensemble de la chaîne est décarboné et si l’on se sert d’une pile à combustible (PAC) pour le convertir en énergie « utile » ; pas de bruit pour véhicules à PAC ; forte densité d’énergie par Kg (3 fois plus que l’essence) mais faible valeur énergétique par unité de volume ce qui nécessite réservoir adaptés volumineux (mais moins lourds que batteries à quantité énergie stockée équivalente).
L’augmentation du prix du pétrole, la croissance des besoins énergétiques (Chine et en Inde notamment) et l’impact de la consommation des énergies fossiles sur l’environnement et le climat ont aiguillonné la R&D sur l’hydrogène dans de nombreux pays depuis le rapport du GIEC de 1995 et le protocole de Kyoto de 1997 : Japon, Etats Unis (Californie), Chine, Corée du Sud, Allemagne, Royaume Uni, Norvège, France…
Efforts de Recherche et Développement
Ils ont porté en priorité sur la mobilité, qui consomme 25 % de l’énergie et produit 25% des GES dans le monde (33 % et 39 % en France)
Le secteur Automobile a embrayé dans les années 80-90 chez le constructeur japonais Mazda d’abord, avec l’application du dihydrogène aux moteurs rotatifs dont un proto/concept présenté au Salon automobile de Tokyo de 1991.D’autres constructeurs se sont également engagés dans cette voie : Honda a lancé sa première voiture à pile à combustible en 2002, BMW qui a commercialisé le modèle Hydrogen 7 (première voiture de série fonctionnant à l’hydrogène et à l’essence sans plomb) de 2007 à 2009, Huyndai avec le modèle ix35, fonctionnant avec une PAC, lancé en 2013 et remplacé en 2018 par le « Nexo » qui vendu à 6800 exemplaires en 2020, Toyota en 2015 avec modèle Mirai qui utilise aussi une PAC, Mercedes a sorti la GLC hydrogène en 2018 en Allemagne, Renault, commercialise les utilitaires Kangoo Z.E. Hydrogen à depuis 2019, et Audi promet de lancer sa H-tron prochainement.
En 2020 le marché de la voiture à Hydrogène est encore confidentiel. Frémissements en milieu urbain avec développement de flotte de taxi à Hydrogène.
Si les bus à hydrogène font lentement leur « débuts » en France (Versailles, Pau et Béthune …) en Europe (Allemagne, Danemark, Pays-Bas…) et en Asie (Chine, Corée du Sud) il n’en n’est pas de même en Islande des bus à hydrogène circulent depuis 2003. A Paris on trouve des taxis à hydrogène depuis 2015.
Le Fret Routier à hydrogène est à ses tout débuts : en juillet 2020, la Suisse a commencé à faire rouler des camions de 36 tonnes du constructeur sud-coréen Hyundai qui fonctionnent à l’hydrogène.
Des prototypes de trains à hydrogène, développés par Alstom, ont été mis en service en Allemagne. En France des trains bi-mode (hydrogène-électricité doivent rouler sur les lignes régionales en 2022
Quelques bateaux à hydrogène ont été mis au point depuis 2000 en Angleterre et en France. Ce sont de petits navires à PAC qui transportent une dizaine de passagers sur de courtes distances. La société norvégienne Havyard a annoncé en 2019 le développement d’un cargo à hydrogène, la compagnie maritime danoise DFDS, s’est engagée en 2020 dans la construction d’un ferry de très grande taille (1.800 passagers, 300 voitures et 120 poids-lourds)
Le premier prototype d’avion à hydrogène, conçu par Boeing et a volé pour la première fois en 2008. En 2020, Airbus a annoncé un programme de développement d’avions à turbopropulseurs (hélices) ou turboréacteurs pouvant transporter 100 à 200 personnes sur 2000 à 3500 km qui seraient mis en service en 2035.
L’hydrogène semble donc être un vecteur énergétique intéressant pour décarboner de nombreux modes de transport, alors que son utilisation dans d’autres secteurs grands consommateurs d’énergie (chauffage) est encore marginale et limitée. Par ailleurs la production par électrolyse peut accompagner la transition énergétique comme solution de stockage et remédier ainsi aux fluctuations de production des énergies renouvelables (ENR) dans des proportions qui dépendent autant de leurs caractéristiques que des propriétés de l’Hydrogène comme on le verra plus loin.
Le marché
A l’échelle mondiale. Une étude réalisée en 2017 par la société McKinsey annonce que l’hydrogène décarboné représenterait près de 20 % de l’énergie totale consommée à l’horizon 2050 contribuant ainsi à la limitation du réchauffement climatique par la réduction de 20% des GES. L’hydrogène pourrait d’abord alimenter 10 à 15 millions de voitures et 500.000 camions d’ici à 2030 (soit 1,5 % du parc mondial). A l’horizon 2050, 30 % du trafic mondial serait réalisé à l’hydrogène avec 400 millions de voitures, 15 à 20 millions de camions et 5 millions de bus. Cela pourrait générer un marché de 2500 milliards de dollars et créer plus de 30 millions d’emplois.
En France, l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (Afhypac) a l’ambition de produire, d’ici 2030, au moins 700.000 tonnes d’hydrogène vert par an permettant d’atteindre une « mobilité hydrogène » de 300.000 véhicules légers et 5.000 véhicules lourds (soit 0,8 % du parc actuel) ainsi que 250 trains et 1.000 bateaux alimentés par un total de 1.000 stations de recharge.
Hors objectifs chiffrés c’est la viabilité du marché qui est le véritable enjeu car son développement doit atteindre une taille critique qui conditionne, et qui est conditionnée par, la capacité à production d’Hydrogène à des prix attractifs tout au long de l’année.
L’écosystème Hydrogène
Il est actuellement constitué d’acteurs aux motivations diverses scientifiques et techniques , environnementales et économiques
Outre les centres de recherche qui ont travaillé sur l’Hydrogène, on trouve des entreprises de toute taille : des géants tels Air Liquide, Linde, Alstom, BMW, Daimler, Engie, Shell, Total, Honda, Toyota, etc. et des entreprises plus petites comme Ballard Power (PAC pour poids lourds), Nel Hydrogen (production et ravitaillement, Powercell (PAC pour navires), H2V (Production par électrolyse), Lhyfe, Ergosup, Hynamics, HRS…
Cet écosystème bénéficie de soutiens et financements publics.
Au cours des dernières années des fonds publics ont été largement mobilisés dans de nombreux pays pour y développer une filière Hydrogène dans des plans pluriannuels de plusieurs milliards d’euros : Allemagne, Danemark,Pays-Bas, Portugal, Corée du Sud, Chine, Japon.
En France un programme ambitieux de développement a été proposé dans le cadre du plan de relance annoncé en septembre 2020 : 2 Mds € sont dédiés au développement d’une nouvelle filière hydrogène plus propre. Cette enveloppe constitue le premier volet d’un investissement public de 7 Mds € dans la filière jusqu’en 2030. La stratégie nationale a trois axes principaux : installer capacité de production d’hydrogène décarboné de 6,5 GW par électrolyse, développer les mobilités propres et construire une filière industrielle garante de notre maîtrise technologique et créatrice de 50.000 à 150.000 emplois, directs et indirects.
L’impact du foisonnement des projets et des initiatives pour promouvoir et la mobilité à l’Hydrogène, autant que le montant colossal des investissements privés et publics pour cet ambitieux changement de paradigme méritent qu’on se penche sur les paramètres qui rapportent à sa faisabilité qu’il s’agisse des besoins en ressources (énergie, matériaux), des verrous liés aux propriété physiques et chimiques de l’hydrogène et de la pertinence cohérence économique et environnementale.
Les défis de la mobilité H2
Peut on produire de grandes quantités d’H2 neutre en carbone avec les infrastructures « électriques » existantes ? Aujourd’hui, la réponse est non. L’outil de production d’électricité est dimensionné et ajusté pour répondre aux besoins existants des particuliers et des entreprises (chaleur, éclairage, énergie mécanique). Les périodes où la production d’électricité décarbonée est excédentaire, sont intermittents, difficilement prévisibles et représentent moins de 1 % du total. Avec le parc actuel, la production continue d’H2 par électrolyse nécessiterait de recourir une production supplémentaire d’électricité des centrales thermiques au gaz dont le bilan carbone n’est pas neutre du tout…
« Structures lourdes pour gaz léger »
Pour atteindre 30 % du transport des personnes ou des marchandise avec de l’hydrogène, il faut massivement augmenter la capacité de production d’électricité décarbonée en France : 180 000 MWh supplémentaires, ce qui représente 9 centrales nucléaires, 1800 km² de panneaux solaire (plus de 3 fois la superficie de Paris) ou encore 36 000 éoliennes !
Au delà de la faisabilité technologique hypothétique et de l’acceptabilité sociale incertaine du déploiement de telles infrastructures pour la production électrique de 30 % de la mobilité à l’Hydrogène en 2050 en France coûterait près de 15 milliards d’Euros soit deux fois ce qui été affecté à la totalité de la filière Hydrogène dans le plan de relance septembre 2020. Viser un ratio de 5 % de la mobilité paraît plus réaliste.
L’ensemble de la chaîne de valeur, de l’extraction des matières premières des infrastructure de production à leur démantèlement et à leur recyclage, doit être prise en compte pour éviter des sous-estimations de l’impact global d’un recours massif à l’Hydrogène.
Ainsi, le remplacement des hydrocarbures par de l’hydrogène décarboné se traduit (avec les techniques existantes) le recours à de la silice et de l’aluminium pour les panneaux photovoltaïque si l’on prend l’option solaire, les métaux rares qui dopent les aimants des turbines dans l’option éolien ou par la productions de déchets radioactifs supplémentaires dans l’option nucléaire. Ce n’est pas sans incidence en termes économiques par un effet sur le cours des matières premières « rares », d’acceptabilité sociale (occupation des sols, modification des paysages, …) et d’enjeux géostratégiques. Dans ces conditions, il sera difficile de se passer
-d’un mix énergétique équilibré entre les trois filière de production de l’électricité décarbonée ;
-de l’organisation en réseau qui pose la questions de résilience, de cybersécurité des systèmes de pilotage ou de mise à niveau des parcs électronucléaire et hydraulique, éoliens et photovoltaïque existant, lesquels représentent aujourd’hui près (plus) de 90 % de la production électrique nationale ;
-de la poursuite des recherches pour fairefonctionner des nouveaux « engins » fonctionnant à l’hydrogène en nombre suffisant pouroptimiser le rendement et le coût de la production par électrolyse, pour augmenter mes performance et la durée de vie des piles à combustible, améliorer le stockage, le transport et les réseaux d’acheminement, la gestion de la production d’hydrogène phasée avec l’intermittence des productions d’ENR dont l’efficacité doit aussi progresser.