Comment définir « l’innovation de rupture ». Souvent on l’oppose à « l’innovation incrémentale » et, en faisant cela, on n’est pas forcément beaucoup avancé car on donne l’impression qu’il s’agit simplement d’une « grosse innovation incrémentale ». Cette vision peut également amener à surestimer le caractère technologique de l’innovation de rupture.
- Dans cet article
- Qu'est ce qui rompt, au juste ?
- Innovation de rupture : le rôle de la technologie
- Comment ça marche ?
- Ressources
Qu’est ce qui rompt, au juste ?
Parler d’innovation de rupture impose que quelque chose rompe. L’idée admise le plus souvent aujourd’hui est que ce qui change radicalement face à une innovation de rupture, ce sont les usages et les habitudes de consommation. Cette idée fonctionne également en BtoB ou sur des niches de consommation. Ce changement radical bouleverse le marché et fait de l’initiateur de l’innovation la référence à suivre. On pourra consulter également ce site pour en savoir plus. Par exemple, pour savoir si la « carte à puces » est une innovation de rupture, il ne faut donc pas se demander s’il s’agissait d’une performance technologique mais se poser la question : qu’est-ce que son adoption a révolutionné dans les usages des consommateurs, des commerçants et des réseaux bancaires ?
Pour prendre un autre exemple très classique, Facebook (et plus globalement les réseaux sociaux) ne sont pas nés d’une rupture technologique mais de l’invention d’un nouvel usage déjà rendu possible par l’état des technologies de l’époque. Il s’agissait de permettre aux internautes d’utiliser internet et les technologies déjà à disposition, mais d’une façon radicalement nouvelle : ils allaient pouvoir simplement produire eux-même du contenu à partager, entretenir et augmenter le réseau de leur relations. Les internautes pouvaient déjà produire leur contenu (créer un site internet, des espaces personnalisés sur des sites comme MySpace, …) mais de nouvelles possibilités leur ont été offertes, qui répondaient à un besoin (contact, lien social, narcissisme, …) et étaient valorisées par une ergonomie très balisée (simplicité d’usage).
Il est donc tout à fait possible d’envisager une innovation de rupture sans rupture technologique. Il faut se départir complètement de l’idée que l’innovation de rupture a forcément son origine dans la recherche et ses résultats, dans les ingénieurs et les avancées technologiques. Une fois cela dit, nous pouvons essayer de nuancer et de mieux comprendre les liens entre l’innovation de rupture et les technologies de rupture.
Innovation de rupture : le rôle de la technologie
Nous l’avons vu, l’innovation de rupture n’est pas la même chose qu’une technologie de rupture. Le sens du mot technologie est extrêmement vaste Il suffit pour s’en convaincre de voir la définition qu’en donne Wikipedia, le mot technologie y désignant l’étude des outils et des techniques. Ce terme se réfère à tout ce qui peut être dit à plusieurs périodes historiques particulières, concernant l’état de l’art dans tous les domaines des savoir-faire pratiques et d’utilisation des outils. Il inclut donc l’art, l’artisanat, les métiers, les sciences appliquées et éventuellement les connaissances. Par extension il peut aussi se référer aux systèmes ou méthodes d’organisation qui permettent une telle technologie, ainsi que tous les domaines d’études et les produits qui en résultent.[/ref] et permet d’affirmer que toute réalisation, innovante ou pas d’ailleurs, s’appuie sur des technologies (lorsqu’on fabrique un nouveau produit évidemment mais également quand on conçoit un nouveau service ou bien une plate-forme web, on s’appuie sur des technologies).
Le terme de « technologie de rupture » (disruptive technology en anglais) apparait dans un livre publié en 1997 The Innovator’s Dilemma. L’auteur, Clayton M. Christensen, est aujourd’hui mondialement connu. Il a ensuite publié un second ouvrage (The Innovator’s solution) où il utilise le terme plus générique d’innovation de rupture parce qu’il reconnaît que peu de technologies sont intrinsèquement de rupture ou de continuité. C’est au contraire leur usage stratégique qui a un effet de rupture.
Pour mieux comprendre le concept de technologies de rupture, on pourra se reporter au livre ci-dessous. L’auteur apporte de nombreux exemples provenant de notre quotidien, ce qui permet de bien comprendre les concepts qu’il développe. Après avoir creusé le concept de technologie, l’auteur a écrit sur « l’innovation de rupture » dans un deuxième livre, notion qui apporte la dimension d’usage et permet de se libérer de l’ambiguïté de départ entre les deux concepts (innovator’s solution).
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Le dilemme évoqué par M. Christensen est basé sur le constat que les entreprises (et surtout les plus florissantes) mettent parfois trop l’accent sur la satisfaction des besoins actuels de leurs clients. Ces entreprises finiront par se faire dépasser et par péricliter sauf si elles parviennent à anticiper les besoins futurs de leurs clients. Pour illustrer son propos, l’auteur cite de nombreux exemples (ordinateurs, milkshakes, mini-aciéries). Le problème est que la plupart des organisations vont rejeter les innovations s’adressant aux besoins futurs, justement parce que les clients n’en ont pas besoin aujourd’hui et qu’elles ne se vendront donc pas immédiatement.
Parmi les exemples (récents ou pas) de technologies de rupture, citons :
- le téléchargement de musique et le partage de fichier contre le disque compact
- le livre numérique contre le livre papier
- le e-commerce contre les magasins physiques
- les logiciels libres contre les logiciels propriétaires
- la vidéo à la demande sur internet et la télévision diffusé par le haut débit internet contre la télévision hertzienne et par cable
- la voix sur IP contre le téléphone traditionnel et le téléphone mobile
- les lecteurs portables de MP3 contre les lecteurs portables de cassettes et CD
- la photo numérique contre la photo argentique
- …
Ces évolutions technologiques ne suffisent pas en elles-mêmes pour être qualifiées d’innovations. Par contre, elles rendent possibles, elles « soutiennent » l’élaboration de nouvelles offres qui conquerront un segment particulier de clients. C’est ce lien étroit qui parfois entretient la confusion entre les deux notions.
Comment ça marche ?
Les deux types de rupture
Comme illustré sur le schéma ci-dessus, les nouvelles technologies, lorsqu’elles apparaissent ne sont pas encore optimales au niveau de leurs performances. Ce sont donc les clients qui n’ont pas besoin de toutes les performances assurées par les technologies concurrentes qui sont les premiers intéressés. C’est ce que Christensen appelle la rupture inférieure.
L’auteur parle également de rupture de nouveaux marchés, lorsque l’innovation permet de s’adresser à des clients qui jusqu’à présent n’étaient pas servis par les entreprises établies (des points communs peuvent être cherchés, en ce cas, avec la stratégie Océan Bleu).
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La rupture inférieure se produit lorsque le rythme auquel les produits s’améliorent dépasse le rythme auquel les clients peuvent apprendre et adopter la performance nouvelle. Ainsi, à partir d’un certain moment les performances du produit vont dépasser les besoins de certains segments de la clientèle. À partir de là une technologie de rupture peut arriver sur le marché et proposer des produits qui ont des performances inférieures aux produits à base de la technologie traditionnelle mais qui sont suffisants pour satisfaire certains clients. C’est ainsi que la nouvelle technologie pénètre sur le marché.
L’entreprise en rupture va naturellement essayer d’améliorer ses marges qui sont tout d’abord limitées car portant sur des produits de commodité. Ainsi, elle va innover pour satisfaire les segments supérieurs de la clientèle. Les entreprises établies ne vont pas engager de guerre des prix contre un produit plus simple et avec des couts de production moindres, ils vont donc se concentrer sur les segments de clientèle les plus exigeants et les plus attractifs. Progressivement les entreprises traditionnelles vont voir leurs parts de marché se réduire et lorsque la technologie de rupture sera à même de satisfaire les segments les plus exigeants du marché la technologie traditionnelle disparaitra.
Les ruptures de marché quant à elles interviennent lorsqu’un produit est « inférieur » selon les mesures traditionnelles de la performance mais convient à un segment émergeant du marché, à un nouveau marché ou à un nouvel usage. Dans l’industrie des disquettes de stockage par exemple, les nouvelles générations de disquettes, plus petites, étaient plus chères et de capacité moindre que les disquettes existantes. Comme la taille n’était pas un facteur important pour les premières générations d’ordinateurs ces nouveaux lecteurs de disquettes semblaient moins bien sous tous les aspects. Mais avec le développement des ordinateurs personnels et des ordinateurs portables la taille devint un critère important et ces lecteurs dominèrent rapidement le marché.
C’est ce qu’on retrouve sur le schéma ci-dessus (rupture de nouveau marché en marron et rupture inférieure dans le passage de la droite verte du haut à celle du dessous lorsque les performances de la nouvelle solution atteignent les besoins et exigences du marché).