Autrefois, on considérait que nommer les choses leur donnait vie et cet acte n’avait pas le caractère banal qu’il a à notre époque désenchantée. Encore aujourd’hui et dans le domaine économique, trouver un nom percutant pour un produit innovant n’est pas que de l’emballage. Il est essentiel de trouver la bonne idée, le nom qui « fera mouche » et que personne n’oubliera. Une innovation « mal vendue » à cause d’un nom inapproprié est vouée à l’échec. Mais quels sont les critères d’un bon nom ? Comment évoquer les valeurs d’un produit, ses caractéristiques nouvelles, tout en étant suffisamment proche des codes des clients pour être compris immédiatement ? C’est toute cette démarche qu’on appelle le naming de l’innovation. Cyril Gaillard, directeur de Bénéfik, une agence de conseil en création de noms de marques, livre ses conseils pour trouver le bon nom pour une innovation.
Cyril, pourquoi trouver un nom pour son innovation n’est pas anecdotique, pourquoi est-ce essentiel ?
L’innovation, qu’il s’agisse d’un produit, d’un service ou d’une nouvelle société passe nécessairement par un nouveau nom. Votre belle idée, votre nouveau produit n’existeront pas avant d’être baptisés et d’avoir un nom conforme aux valeurs qu’ils véhiculent. Si le sujet semble spontanément simple parce que chacun sait écrire et trouver le nom de son projet, de son idée, les aspects psychologiques et juridiques rendent le processus plus complexe qu’il n’y parait. Le naming est une étape absolument cruciale, qui doit être prévue dans la cadre de la conduite du projet. Ce n’est pas que le « ruban autour du cadeau » : il doit illustrer, promouvoir, résumer l’ensemble de la proposition nouvelle que constitue l’innovation.
Mais attention, le naming ne fait pas tout bien sur : combien de fois n’ai-je pas entendu quelqu’un me dire qu’ « Apple, c’est quand même formidable comme nom ». Mais ce n’est pas le nom « Apple » qui est formidable, c’est la marque ! Comprenez l’ensemble des messages diffusés sur de multiples supports pendant tant d’années, qui ont donné au nom une envergure considérable, symbole de technologie, de pureté, de simplicité et d’innovation. Si vous êtes à la recherche d’un nom, voici quelques conseils qui vous seront utiles.
Les aspects psychologiques sont-ils importants pour le naming ?
Chercher un nom exige de penser justement son projet, définir les contours de son idée, organiser sa pensée. Bien souvent le chercheur de son propre nom de marque se retrouve confronté à des envies contraires et veut que le nom dise tout. Mais un nom n’est que le premier élément de l’identité qu’il symbolisera mais ne pourra à lui seul tout exprimer. Il pourra signifier une partie du message mais pas la totalité. L’identité visuelle, la signature et le territoire de la marque au sens marge viendront compléter ce que le nom ne dit pas.
Tout le monde croit que le naming est facile. C’est tout le contraire ! Le nouveau nom doit illustrer, promouvoir, résumer l’ensemble de la proposition nouvelle que constitue l’innovationAttention aussi aux évocations provoquées par un nouveau nom, et pas uniquement en France. L’un des cas les plus révélateurs de l’importance de s’assurer que la marque n’évoque rien de négatif hors de son pays de naissance est le nom « Aurore ». En France, il n’évoque que la poésie d’un soleil levant, voire un prénom féminin sympathique. Aucune raison, donc, pour qu’au Québec, région du monde où l’on parle la même langue, le nom ne puisse pas se promener tranquillement, et pourquoi pas servir de marque à une société ou à un produit cosmétique. Oui mais voilà… Aurore renvoie dans l’imaginaire collectif québécois à une sombre affaire d’enfant martyre des années 1920. Et lancer une marque sous ce nom revient à peu près à se dire que « Petit Grégory » pourrait fort bien désigner une marque de biscuits au même titre que « Mamie Nova » désigne une marque de produits laitiers.
Quant à Blédina, la marque voulant s’imposer sur le marché russe a dû quelque peu modifier son nom, beaucoup trop proche dans la langue du pays d’un mot d’argot vulgaire signifiant « prostituée ». D’autres exemples de noms qui ne voyagent pas très bien ? Fion, qui fait dans la maroquinerie de luxe en Asie. Mais citons aussi Extranase et Hypercon, des médicaments… ou Derche, une marque japonaise de cosmétiques. Verge est une marque de textile chinois. Moco, la marque de Nissan, signifie « morve » en espagnol. Sans parler du système de paiement par téléphone portable qui répond au doux nom de … Boku. Tout un programme…
Le naming a ses modes. Faut-il céder à ces modes afin d’être plus facilement compris ?
Le succès d’un nom de marque repose en théorie sur sa différence avec ceux qui existent déjà. Pourtant, rares sont les inventeurs de génie qui partent de zéro. C’est là que le curseur entre inventer et reproduire devient subtil et capricieux. Si vous avez pour projet de lancer une console, faut-il faire comme tout le monde et utiliser par exemple le terme « box », très en vogue (merci Free !), ou bien innover en se détachant de la mode, par définition passagère ? Pour votre information, le mot « box » a été déposé à ce jour 2 342 fois en France, plus ou moins associé à d’autres mots, ce qui réduit pas mal la marge de manœuvre. Dartybox, Pastabox, Halalbox, Livebox, Equibox… les exemples pullulent de cette tendance à s’engouffrer dans la brèche d’un mot très médiatisé.
Le succès du terme « box » tient en grande partie à sa capacité à correspondre à n’importe quoi tout en étant très court et dynamique par la magie d’un mot anglais qui fait aussi référence à un sport de combat. On peut tout mettre dans une boîte, on peut tout vendre dans une box. Et le client de se sentir comme un enfant ouvrant une pochette-surprise, un paquet cadeau… Smartbox, Wonderbox… un tout-en-un facile, « easy », un autre mot anglais à la mode…
De fait, il n’y a pas de réponse définitive à la question de suivre le mouvement ou de se démarquer. Comme au poker, tout dépend de sa position, de sa réputation et des autres joueurs autour de la table. Un petit nouveau avec peu de moyens aura tout intérêt à suivre la tendance plutôt qu’à vouloir imposer un nouveau terme qui ne ferait référence à rien dans l’esprit de ses clients. En revanche, un poids lourd peut sans complexe, à force de communication, défendre son innovation, y compris par l’usage d’un mot inventé ou en décalage avec l’univers de référence.
Quelles sont les contraintes juridiques auxquelles est soumis le naming ?
On sous estime bien souvent le fait qu’un nom pour être utilisable sans encombre ne doive pas être déjà déposé tant en nom de marque qu’en nom de société dans le même secteur d’activité. Alors à moins d’autre le seul sur son marché, d’innover au point de n’avoir aucune concurrence, il est plus qu’indispensable de s’assurer au préalable que le nom de son offre, produit, service ou société n’ait pas déjà été déposé dans les mêmes catégories. Et cela, non seulement à l’identique, sans changer l’ordre des lettres mais également sur le plan phonétique puisque deux noms s’écrivant de façons différentes peuvent se dire à peu près de la même façon.
Comment prendre la décision, parmi toutes les idées ?
Le cumul des aspects psychologiques et juridiques conditionne la décision finale toujours délicate à prendre sur des sujets aussi sensibles que le nom. Nous avons tous peur de passer à côté DU nom magique, de ne pas avoir explorer tous les univers possibles, toutes les combinaisons de lettres. C’est pourquoi il faut éviter de ne pas tomber dans l’affect et choisir sur le base de critères les plus objectifs possibles en fonction du sujet. Le nom doit il aussi être disponible en .com, à l’international ? Si oui dans quels pays ? Le nom qui répondra positivement à ces questions méritera de vivre au grand jour.
Pour en savoir plus
- l’agence de naming Benefik : http://www.benefik.com/ 3 rue du Louvre 75001 Paris – Tél. 01 42 21 17 74
- de l’utilité de tester son nom à l’international : https://www.linkedin.com/pulse/de-lutilit%C3%A9-tester-son-nom-%C3%A0-linternational-cyril-gaillard
- quelques ouvrages importants
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- n’oublions pas que l’importance du choix du nom d’un nouveau produit ou service a également été soulignée dans la stratégie Océan Bleu par Chan Kim et Renée Mauborgne