Supprimons les brevets à l’université !

Derrière ce titre un peu provoquant, mon interrogation est celle d’un citoyen qui regarde les pratiques actuelles des pouvoirs publics et des universités dans le domaine de la propriété intellectuelle comme complètement dépassées. S’il ne faut pas forcément « supprimer les brevets » des universités, il faut à mon avis complètement revoir la façon dont ils sont valorisés.

Ce blog est l’occasion de partager avec vous une interrogation : pourquoi s’acharne-t-on à vouloir tirer, sous forme de licence ou de royalties, de l’argent des brevets déposés par les universités ?

À quoi sert une université ?

Fondamentalement, une université est un établissement dont l’objectif est la transmission du savoir (enseignement supérieur) par sa conservation, sa valorisation et sa production (recherche). Derrière le terme générique « d’université », je parle également des organismes de recherche, particulièrement nombreux et disséminés en France sous des statuts et des fonctionnements très divers.

Où sont situées les meilleures universités du monde ?
Où sont situées les meilleures universités du monde ?

Quand on observe où sont situées les universités du top 500, la France, victime de son système d’enseignement supérieur et de recherche particulièrement éclaté, est au même niveau que l’Italie ou l’Australie (15 millions d’habitants !). Au-delà de la critique du thermomètre (« c’est à cause du classement de Shanghai, inadapté à nos particularités … » ), c’est le rapport de l’université au reste de la société civile et en particulier à la sphère économique qu’il faut complètement revoir.

Mais qui a payé les brevets ?

L’université sert donc entre autres choses à produire des connaissances scientifiques. Cela fait partie de ses missions et elle est financée pour cela par les gouvernements, donc par vous, par moi, par les entreprises. Les salaires des chercheurs et des personnels mobilisés, les équipements – investissement et fonctionnement  – sont en grande partie payés par les impôts et donc in fine par les entreprises acquittant des impôts sur le territoire, si on considère celles-ci comme les productrices de la valeur ajoutée à partir de laquelle les salaires sont versés et les impôts prélevés, ce qui permet la redistribution.

Considérant qu’elles avaient déjà payé, j’ai donc toujours trouvé étrange de demander de l’argent supplémentaire aux entreprises intéressées par l’exploitation économique des résultats de la recherche d’un laboratoire.

Un modèle qui ne marche pas ?

A de rares exceptions prêt, les universités ne gagnent pas d’argent avec les brevets. Pire ! Très souvent, les coûts liés à l’existence des services qui sont chargés de gérer la propriété intellectuelle d’un ou plusieurs établissements, lorsqu’on  les cumule avec les frais de maintenance des brevets, sont beaucoup plus importants que les revenus liés aux licences concédées.

Pour remédier à cela, il faut véritablement changer de paradigme !

Beaucoup d’universités n’ont pas encore compris qu’elles étaient dorénavant en concurrence entre elles, à une échelle mondiale. La vraie valeur d’une université, c’est sa « réputation ».

Pour faire la différence à une échelle globale, les universités doivent être « attractives », attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs. Comment peuvent-elles y parvenir ? En multipliant les relations de qualité avec les entreprises, les grandes bien sûr mais également toutes celles plus petites qui sont sur leur territoire. La vraie concurrence ne se situe pas sur l’exploitation économique des brevets et sur leur « rentabilité immédiate », mais sur la qualité des liens qu’une université va pouvoir tisser avec le monde économique.

Combien de services de valorisation calculent encore le coût d’exploitation d’un brevet en additionnant les dépenses cumulées réalisées par l’université et en les lissant sur une durée arbitraire ? Cette logique de boutiquier, en plus de n’avoir aucun sens économiquement, est une source de frustration des entreprises potentiellement partenaires qui voient valorisées des dépenses qu’elles peuvent considérer injustement comptabilisées.

À chacun son métier ! Vers une coopération université – entreprise refondée ?

Une entreprise innove, une université invente. C’est en repartant de cette simple distinction qu’il est peut-être possible de refonder des relations plus saines entre l’université et l’entreprise.

Quel pourraient être les bases d’un fonctionnement réellement gagnant – gagnant ?

  • L’université devrait publier gratuitement, en continu, les résultats de recherche auxquels elle est parvenue. Un site web pourrait présenter ces résultats qui n’auraient pas besoin d’être immédiatement exploitables économiquement mais devraient être exprimés d’une façon compréhensible et non jargonnante. Si possible, des exemples d’exploitation, de secteurs d’activité concernés pourraient être précisés.
  • Les entreprises intéressées pourraient candidater pour exploiter ces résultats. Elles expliqueraient comment elles envisagent de les utiliser, les recherches / mises au point restant à réaliser, le planning d’exploitation ou d’expérimentation qu’elles envisagent etc …  L’utilisation du brevet serait gratuite. L’idée est de construire une relation sur la durée, pas de « gagner 3 francs 6 sous » immédiatement.
  • L’université choisirait l’entreprise qui pourra exploiter les résultats de sa recherche sur la base de critères à définir :
    • exploitation locale des résultats
    • partenariats de recherche envisagés
    • financement de doctorants
  • L’université pourrait également être rémunérée par une mission de conseil / formation sur la technologie développée.
  • L’université pourrait bien sur imposer la mention de sa « marque » sur les produits développés grâce à sa recherche
  • L’université se garderait la liberté de retirer le bénéfice de son brevet à une entreprise attributaire qui ne l’exploiterait pas au bout d’une durée définie

Finalement, si la mesure de la valeur d’une université est sa réputation, celle-ci a tout à gagner à ne pas faire payer directement l’exploitation de ses brevets. Elle doit plutôt créer les conditions de rapports dans la durée avec les entreprises, qui paieront d’autant plus volontairement qu’elles comprendront la valeur de la prestation fournie (mise au point, formation, stages, doctorants, …). Plus l’université multipliera ses relations avec les entreprises, plus ses capacités financières et sa réputation s’amélioreront.

Les moyens libérés par la suppression des services de valorisation, les SATT, … pourraient être redéployés vers une prospection des entreprises sur une base renouvelée et plus saine. Il s’agirait de « vendre l’université » dans son ensemble et ses capacités à accompagner le développement des entreprises partenaires.

J’ai conscience que l’idée que j’exprime ici est en grande partie un vœu pieux en France. La complexité du monde de la recherche de notre beau pays est telle qu’on ne sait parfois même plus à qui appartient la propriété intellectuelle d’un résultat de recherche. Entre les universités, le CNRS, les organismes de recherche, les unités mixtes, … les dossiers transitent entre de multiples services, parfois sur des durées déraisonnables, ce qui fait monter les prix et décourage le plus souvent les entreprises et en particulier les plus petites. Ce fonctionnement rend de plus impossible la construction entre une université et une entreprise d’une relation sur la durée, basée sur la confiance.

Malgré les difficultés, je rêve qu’une université tente le coup et rende l’exploitation de ses brevets gratuite. Ceux-ci seraient ainsi beaucoup plus rentables !

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