A chaque fois que je discute dans le cadre de mon activité avec le responsable d’un tiers-lieu, je m’aperçois qu’il est confronté au problème de sa pérennité économique. La plupart des tiers-lieux que je connais éprouvent des difficultés à élaborer et à mettre en œuvre un business modèle viable, à proposer une gamme de services qu’il s’agit de vendre pour équilibrer un compte de résultat.
Nous avions déjà vu ensemble dans cet article que les initiatives se multiplient et l’intérêt est énorme, tout d’abord de la part des utilisateurs bien sur (et heureusement !) mais également des pouvoir publics et des collectivités. A titre d’exemple, ce rapport intitulé « Les espaces de coworking : Nouveaux lieux ? Nouveaux liens ? Nouvelle économie ? » souligne les dynamiques à l’œuvre dans la métropole lilloise (auteurs : Christine Liefooghe, Christian Mahieu, Michel David).
- Dans cet article
- Des coûts incompressibles …
- Alors, comment facturer ces services ?
- Quelle place pour les financements publics ?
- Un véritable "business model"
Ce blog est donc l’occasion pour moi de creuser ce thème et de tenter d’apporter quelques éléments de réponses à cet apparent paradoxe.
Tout d’abord, il faut noter qu’une difficulté particulière vient parfois de la culture même qui préside au lancement d’un tiers-lieu : partage, do it yourself, égalité, échanges, liberté, … autant de valeurs qui rendent parfois problématique la facturation d’un service à un utilisateur. La difficulté est donc alors d’élaborer des services et de les vendre sans perdre « l’âme du lieu », sans devenir un « hôtel d’entreprise » ou un simple « commerce ».
Des coûts incompressibles …
Un tiers-lieu doit équilibrer ses comptes, à commencer par une « infrastructure de base » ?
- un local avec des accès l’électricité, au gaz, à l’eau …
- du mobilier (tables –de ping pong, …-, chaises, armoires, …)
- un abonnement internet (très) haut débit
- une machine à café ou des cafetières (le plus important ?), autour desquelles des éléments d’une cuisine plus ou moins moderne et équipée sont installés
- une imprimante, un photocopieur, un scanner, …
De façon optionnelle, on retrouvera également d’autres équipements dans un tiers-lieu :
- des serveurs et une infrastructure informatique (e-mails, fichiers, intranet, …)
- de la logistique et des matériels mutualisés (appareil photo, caméra, ordinateur, tablette, vélo, scooter, voiture, camion, …)
- du mobilier et des espaces spécifiques équipés (reprographie, montage vidéo, imprimantes 3D, outils divers de fabrication, …)
En ce qui qui concerne les services complémentaires pouvant être fournis par un tiers-lieu (en plus des outils mutualisés) :
- un accueil : information, conseil, médiation, …
- un programme d’animation : conférences, ateliers, rencontres, networking, …
- la gestion administrative et financière du lieu (utilisation des services payants, des adhésions, traitement des factures organisation et coordination de la gestion des consommables collectifs, …)
- un véritable secrétariat mutualisé (boites aux lettres, traitement des courriers entrants et sortants, …)
- enfin, de nombreux autres services peuvent s’ajouter selon directement par les membres de la communauté des Tiers-Lieux
- un accompagnement dans la création de son activité : incubation, couveuse, …
Alors, comment facturer ces services ?
La première chose à faire est de distinguer les usagers selon les usages qu’ils font du lieu. En effet, les utilisateurs du tiers-lieu peuvent venir schématiquement pour 3 grandes typologies de raisons :
- pour bénéficier des infrastructures : bureaux (individuels ou collectifs), salles de réunion, stations de travail, matériels de fabrication, …)
- pour bénéficier du travail de la communauté : réflexions collectives, partage de connaissances, co-working, créativité, formations, offres d’achats collectifs, …
- pour offrir leurs services aux autres membres de la communauté, se faire connaitre : évènements, formations, …
Chaque type d’utilisateurs peut faire l’objet d’un traitement différencié. L’idée est de rentabiliser au mieux l’espace disponible (souvent très mal utilisé !) et de s’appuyer au maximum sur les utilisateurs actifs (catégorie 2) qui pourront bénéficier d’une facturation « attractive ».
Quelle place pour les financements publics ?
Comme l’indiquait OpenScop dans une étude sur les Tiers-Lieux Stéphanois : de manière très pragmatique, les collectifs investissent les lieux qu’ils trouvent, et s’ils ne trouvent pas ils les créent selon leurs ressources. Toutefois, d’une part nous constatons que de nombreux locaux sont sous-utilisés dans les quartiers prioritaires, et d’autre part les aménageurs territoriaux et les politiques de la ville recherchent des solutions pour utiliser la place publique de façon optimale pour tous. Les Tiers-lieux sont au croisement de ces attentes.
Quoi qu’il en soit, la création d’un Tiers-lieu ne doit jamais être décrétée, mais dans l’idéal doit être l’évolution naturelle d’un lieu existant ayant déjà sa communauté avec des membres partageant des intérêts communs. Bien sûr, la mutualisation de lieu n’est pas une nouveauté. Ce mode de fonctionnement connaît néanmoins une nouvelle jeunesse avec l’effet levier rendu possible avec les usages numériques. Grâce aux modes de travail collaboratif induit par Internet, les projets et les compétences se connectent facilement entre eux au sein d’un Tiers-lieu et également entre plusieurs Tiers-lieux.
De manière générale, les communautés pratiquant un tiers-lieu se composent de profils très divers : étudiants, entrepreneurs, chômeurs, associatifs, enseignants, bidouilleurs, élus, salariés, artistes, des séniors, des journalistes… et sont mixtes à plus d’un titre : âges, origines, expériences professionnelles, parcours personnels… Étant des concentrés de cette mixité, voilà un atout indéniable des quartiers faisant l’objet d’une démarche politique de ville. Finalement, les individus avec leurs compétences et le lieu se mélangent pour former un unique ensemble aux multiples facettes. Deux effets sont induits :
- les Tiers-lieux sont des espaces de rencontres où l’on recrée du débat. Des lieux d’expressions citoyennes où l’on apprend à vivre, travailler et consommer autrement.
- les projets se créent de manière transversale sans autorité supérieure ou hiérarchie imposée. La socialisation des individus est la résultante du respect mutuel et l’envie est la matière première des collaborations. Grâce à ces fondamentaux les Tiers-lieux accompagnent « en douceur » un changement des mentalités allant de la prise de conscience individuelle jusqu’à l’engagement professionnel et/ou militant avec l’objectif permanent de favoriser le « mieux vivre ensemble ».
Attention toutefois à ne pas se tromper d’objectif en favorisant l’implantation de tiers-lieu dans des quartiers en difficulté : si les tiers-lieux permettent la créativité et l’innovation, il ne faut pas y attendre une réponse directe aux problématiques économiques et d’emploi. Ils génèrent avant tout des externalités positives qui vont impacter en bien les quartiers mais il ne va pas créer d’emploi en lui-même.
Par contre, les collectivités doivent voir dans les Tiers-lieux, les futures entreprises du territoire qui vont créer de la valeur d’usage et de l’emploi direct et indirect. En d’autres termes, la solution face à ces problématiques n’est pas le lieu, mais ses occupants.
Le rôle de la collectivité n’est pas de financer le lieu en tant que tel mais les initiatives de la communauté qui investit le tiers-lieu (projets citoyens, mutualisations, créations d’activité, …). Dans le cadre de la politique de la ville, les services déployés dans les Tiers-lieux sont particulièrement adaptés pour offrir un appui aux associations.
Le rôle primordial des collectivités est de cofinancer des actions émergentes dans les Tiers-lieux pouvant aller de la simple expérimentation jusqu’au déploiement à grande échelle de solutions, à la condition formelle que celles-ci soient documentées afin d’être conformes aux enjeux de l’intérêt général.
Le financement des Tiers-lieux est un excellent cas pratique pour initier des changements dans la manière de penser et d’organiser les services d’intérêts généraux par la gouvernance publique.
Dans une démarche de Politique de la Ville, les Tiers-lieux sont en premier lieu des espaces offrant de l’espoir, des perspectives, des opportunités professionnelles et un environnement favorable pour la création d’activités. Dans un second temps, ils favorisent l’innovation au plus près des besoins.