L'intelligence collective a évolué au cours des dernières décennies

Intelligence collective : les 4 niveaux

Plus intelligents ensemble.

Tout comme l’intelligence d’un individu, l’intelligence collective, celle d’un groupe peut se mesurer. Et surprise … comme le montre Emile Servan-Schreiber, elle est en général supérieure à celle de tout individu isolé dans le groupe ! Intuitivement on se sent plus fort ensemble que tout seul. Parce qu’on peut compter sur les autres.  Mais aussi parce qu’au sein du groupe on peut exprimer son propre potentiel, se mettre en valeur. Chacun de nous a un double besoin d’appartenance au groupe et de reconnaissance par le groupe : l’individu est indissociable du groupe.

Il semblerait que l’intelligence soit avant tout relationnelle, qu’elle soit une capacité à créer des connexions émotionnelles, à nouer des relations affectives. Contrairement à la machine qui ne connaît pas l’affect, un être humain – même isolé – crée des relations affectives. De l’ensemble des relations créées entre individus au sein du groupe naît l’intelligence collective (IC) du groupe, orientée vers l’action. Comment internet fait-il évoluer l’intelligence collective ? Quels sont les différents niveaux d’intelligence collective ?  Quel est le futur de l’intelligence collective ?

Intelligence collective : l’individu est indissociable du groupe

Qu’est ce que l’intelligence collective ?

L’harmonie d’un groupe n’est pas réservée aux essaims d’hirondelles ou aux fourmilières. Pour aboutir à une action en groupe il faut d’abord arriver à une entente, un accord entre les membres du groupe. Il existe une multitude de moyens pour Homo Sapiens d’y parvenir, et la plupart sont basés sur l’enrichissement d’idées.

Les idées se confrontent, évoluent et profitent d’un enrichissement significatif jusqu’à ce qu’elles puissent être effectivement réalisées par le groupe. Le processus d’enrichissement d’idées peut paraître complexe, mais il est en fait très commun, il fait partie de notre vie de tous les jours.

- On se voit ce soir ?
- Plutôt demain. 20h ?  
- 21h. jogging ?
- Un peu fatiguée en ce moment. Cinéma.
- D’accord. Je préviens Khal et Julie ? 

L’envie de départ « jogging à 2 ce soir » s’est concrétisée sous la forme « cinéma à 4 demain soir ». Elle s’est enrichie parce qu’elle a évolué du simple désir individuel vers l’accomplissement dans la vie réelle. « Pensez ensemble, agissez ensemble », voilà le principe d’une nouvelle science sociale appelée intelligence collective (IC), largement facilitée par le numérique.

Rassemblez un groupe de gens d’une grande diversité et grande indépendance d’opinions, votre groupe est déjà intelligent. Puis faites en un groupe nombreux, et il sera encore plus intelligent. A tel point que vous pourrez même remplacer un expert en cosmologie par un petit groupe d’amateurs étudiants en physique !

L’émergence de l’intelligence collective

L’intelligence collective apparaît au sein d’un groupe quand il s’oriente de façon bienveillante vers l’action. Deux éléments sont indispensables à l’action : proximité et connaissance. Un troisième élément, le médiateur, catalyse le déclenchement de l’action.

  • La proximité entre individus peut aussi bien être géographique qu’émotionnelle.
  • La connaissance est créée par l’enrichissement d’informations . Elle doit être accessible à l’ensemble des individus du groupe. Certains individus peuvent même co-créer des connaissances.
  • L’action est un mot fortement connoté. Pour les médias grand public, une action est un évènement politisé. En théorie des jeux, c’est la construction d’un système de jeu qui permet d’aboutir à l’action, le « tour de jeu ». En théorie de l’expérience, c’est la construction d’un contrat social qui permet de créer une situation.
  • Heureusement, pour la plupart des gens, créer une action revient à accomplir un souhait, ou plus simplement à vivre une expérience avec d’autres personnes.
  • Dans tous les cas l’action se crée, se construit, à plusieurs.
  • Enfin le médiateur fait le lien entre les individus du groupe et la connaissance. Il est ce ou celui qui permet l’action.
La proximité entre individus peut aussi bien être géographique qu’émotionnelle

Les 5 types d’intelligence collective

Différents types d’intelligence collective peuvent coexister et se combiner à tout moment, sans ordre chronologique particulier.

Quand on se connaît et qu’on a un leader, on peut  {1} développer des idées (Corporate Team building, incubateurs et pépinières d’entreprises, Slack). Si on ne se connaît pas, on peut quand même  {2} valider des idées (Facebook, Linkedin, Instagram, et tous les réseaux sociaux basés sur l’individu). Le leader a un haut niveau d’engagement, il poste du contenu. Les autres individus ont un très faible niveau d’engagement, ils suivent : like, commentaire ou partage.

Quand on n’a pas de leader et qu’on ne se connaît pas, on  {3} juxtapose les idées, sans que l’information ne s’organise (ICQ, forums). Si par contre on se connaît, on peut  {4} lister les idées dans un fil de discussion (Whatsapp group, Telegram, Facebook messenger).

Enfin, que l’on se connaisse ou pas  {5} on construit les idées si on fait émerger un leader: on fait germer les idées, on les fait grandir ensemble. Chaque individu s’engage à sa façon en émettant des propositions là où pour lui elles font sens, et l’information s’organise d’elle-même. (Brainstorming, nouveaux incubateurs, Seeders).

Les 4 niveaux d’intelligence collective

Niveau 1 : Intelligence collective “déconnectée”

Avant fin 1996 le grand public a peu d’accès à l’information autre que TV, radio, presse écrite : pas d’internet, pas de téléphonie mobile. On a des modèles de distribution et de médiation en mode ‘push’, on cherche à atteindre des cibles larges pour une consommation de masse.

Les décisions sont accessibles à une élite qui, de façon ancestrale, oriente les actions de grands groupes d’individus. Les rôles de chacun sont clairement définis et immuables.

Exemples :

  • Sondages téléphoniques (1900), pour mieux connaître les attentes d’une cible.
  • Rond point (1906): il évite les systèmes informatiques nécessaires à la gestion des feux rouges, et réduit considérablement les accidents mortels, en misant sur l’intelligence des usagers.
  • Télévision (1928), radio (1906), journaux (1540) : ces médias forgent l’opinion du grand public, qui va ensuite agir en conséquence.

Niveau 2 : Intelligence collective “Web”

De 1997 à 2004 l’internet grand public s’installe grâce au Web pour 3 milliards de personnes. Accès de masse à l’information, services de commerce en ligne. En parallèle, la téléphonie mobile atteint les masses en Europe, et progressivement en Amérique et en Asie, puis en Afrique. C’est l’époque des grosses fusions-acquisitions entre le monde de l’informatique et le monde des télécommunications. Les réseaux sont prêts et attendent impatiemment les services.

La médiation s’ouvre alors à d’autres acteurs: les nouveaux entrepreneurs, qui visent des marchés spécialisés et participent activement avec le producteur à la définition du produit.

De plus petits groupes d’intérêt se forment et se monétisent grâce à l’arrivée du paiement en ligne. Les actions sont de plus en plus individuelles.

Exemples :

  • Google search (1998):  chaque webmaster met de l’information à disposition des robots de Google, pour un bon référencement de son site web.
  • Amazon (1995) : chaque acheteur peut émettre des commentaires visibles par tous, construisant ainsi une nouvelle forme de réputation au producteur ou au vendeur du produit.
  • Wikipedia (2001): chaque membre peut contribuer à l’élaboration d’un article et participer à l’établissement d’une vérité collective.

Niveau 3 : Intelligence collective “App”  

A partir de 2005, le smartphone se démocratise et devient un accessoire à part entière, au même titre que la montre ou le sac à main. C’est l’ère de l’internet mobile, de nouveaux mastodontes émergent en proposant des services directement accessibles grâce aux applications embarquées (App), dont le chat’ et les réseaux sociaux. Les réseaux et les services étant disponibles, on peut désormais créer la poule aux œufs d’or: le contenu personnalisé.

La médiation est révolutionnée par les terminaux mobiles: désormais on s’adresse directement au consommateur devenu  ‘utilisateur’, faible consommateur mais grand fournisseur de contenu. On s’intéresse à son expérience-produit pour lui permettre de poster facilement du contenu.

De grands groupes de personnes se réunissent sur quelques plateformes à forte notoriété. Le contenu créé est un contenu de masse créé par les masses, d’un intérêt encore insuffisant pour créer des connaissances utiles à l’action.  Par contre chacun peut désormais choisir son rôle et se connecter à l’ensemble des acteurs à travers les quelques grandes plateformes. Même si la compétence des acteurs est remise en cause, leur quantité augmente significativement.

Les nouvelles actions sont la création de contenu en groupe: textes, images, audios, videos.

Exemples :

  • Youtube (2005): streaming video
  • Réseaux sociaux:Twitter (2006), Facebook (2004), Whatsapp (2009), Instagram (2010), Snapchat (2011)
  • Groupon (2008): achats groupés
  • Blablacar (2006): co-voiturage
  • Uber (2009) : réseau de taxis amateurs
Intelligence collective mais bêtise individuelle

Niveau 4 : Intelligence collective “IRL”   

En 2012 se répand le paiement sur les mobiles, la taille des écrans a augmenté, et suffisamment de contenu a été créé pour pouvoir le monétiser. C’est l’ère du streaming mobile et du big-data. C’est aussi le début de la coopération entre utilisateurs,  le suffixe “co-” apparaît: co-working, co-voiturage, co-living, etc. Des communautés numériques se constituent, non plus pour échanger de l’information mais pour s’engager dans la vie réelle (IRL, in real life : dans la vie réelle), avec comme seule garantie la e-réputation de chacun.

L’arrivée du “tout sur mobile” provoque la subordination de l’internet au réel. Internet peut maintenant être utilisé indépendamment par chacun, partout, à tout moment, en temps réel. L’utilisateur est consommateur de contenu, il peut le consommer et le payer directement depuis son mobile.

Une multitude de groupes d’intérêts se forment, chaque communauté montre son appartenance en se reliant à la même application mobile. La taille des groupes réduit progressivement : en 2019 les influenceurs intéressant les marques n’ont plus quelques  millions mais plutôt quelques centaines de followers. Comme l’explique Seth Godin, l’utilisateur affirme son identité par le groupe auquel il appartient. Les nouvelles actions sont majoritairement la consommation de contenu en groupe.

La tendance forte pour 2020-2025 est la création de petits groupes dits IRL “In real life”, qui passent de l’existence exclusivement numérique à l’existence dans la vie réelle et qui de plus en plus s’orientent vers l’action en dehors de toute consommation. Le consommateur est en recherche de sens et pose la question de la co-création du produit, ce qui impacte l’ensemble de la chaîne de valeurs.

Les marques se positionnent alors comme facilitateurs, accompagnateurs, sponsors.

Chacun peut désormais s’essayer sans complexe à de nouvelles compétences, à la seule condition qu’il propose une expérience séduisante. Le consommateur devient utilisateur-administrateur et s’assigne lui-même des rôles suivant les fluctuations de ses envies. Il se veut un membre égal aux autres membres de son réseau, qu’il crée progressivement par la mise en place de son propre environnement. Il constitue alors sa propre Éthique en choisissant d’utiliser les différentes Apps et Dapps (Decentralized App) qui sont en cohérence avec son message. L’utilisateur s’affirme par son degré d’autonomie.

Exemples :

  • Hypermind (2012): intelligence supercollective pour les marchés prédictifs
  • Telegram (2013): chat sécurisé (éthique de privacité)
  • Storj (2014): stockage décentralisé de données
  • Ujo (2015): distribution décentralisée de musique
  • Golem (2015): puissance de calcul décentralisée
  • Twitch IRL (2017): streaming mobile temps-réel
  • Seeders (2020): réseau social gamifié pour l’intelligence collective
Intelligence collective : la diversité est le maître mot

Conclusion : le futur de l’intelligence collective

L’année 2017 a révélé la crise des idées, la défiance par rapport aux médias, aux concepts, à la vérité. Il s’ensuit une forte diminution de l’engagement de la jeunesse, à tous les niveaux : dans le travail, les sentiments, les projets constructeurs, l’action en général. Le défi qui s’annonce est celui de l’action concrète, simple et immédiate. Le médiateur sera alors celui qui apportera le changement.

Plus le niveau d’Intelligence Collective (IC) est haut, plus les individus du groupe ont la possibilité de changer de rôle.En effet l’IC est efficace quand les spécialités de chacun s’effacent devant les relations nouées au sein du groupe. Un ensemble d’individus généralistes, capables de changer de rôle et donc de dialoguer avec l’ensemble des individus du groupe, renforce le QI du groupe.

De sorte que l’IC au QI maximal est atteinte quand chaque individu co-crée le produit qu’il consomme. On retrouve modestement ce phénomène chez les followers, qui créent l’influence de celui qu’ils suivent. Plus encore, tout individu d’une IC peut recommander d’autres IC. Il va ainsi contribuer à répandre l’action. L’éthique entre alors en jeu.

Attention par exemple à la progression d’un schéma pyramidal chez les influenceurs, qui de plus en plus préfèrent vendre leur influence aux apprentis-influenceurs plutôt que de créer de la valeur. Leurs communautés ne sont pas dupes. Dans le cas des intelligences collectives basées sur le bio-mimétisme, c’est-à-dire sur l’abondance des actions, les individus ne sont jamais à cours de ressources, et l’influence du leader naît de sa capacité à créer des actions en groupe et à permettre à d’autres de les reproduire, de les répandre.

Un réseau décentralisé, basé sur la blockchain ou autre technologie, sera d’autant plus utile à l’émergence et l’interconnexion de ces leaders d’un nouveau genre, leaders de petits groupes composés de quelques dizaines d’individus. Ce sont ces petits groupes changeants et indépendants, de plus en plus intelligents, qui orienteront l’économie de demain.

Merci au sociologue Thierry Maillet pour ses conseils avisés lors de la la rédaction de cet article.

Pour en savoir plus

  • le schéma résumé des 5 types d’intelligence collective et de ses 4 niveaux
Intelligence collective : les 5 types et 4 niveaux, en un clin d’œil

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  • articles en lien avec l’intelligence collective
https://www.lescahiersdelinnovation.com/intelligence-collective-au-service-de-linnovation/

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