Tuer l’innovation dans votre entreprise est simple : lancez un programme d’innovation, écrivez une stratégie d’innovation. Un laboratoire d’innovation, un service dédié, une direction innovation, … ? Ce sont les derniers avatars d’un fléau bien connu : l’entreprise cloisonnée ou en silo. Avec ce genre d’initiatives, des personnes, des équipes, des initiatives, des projets, des produits, des départements entiers se séparent les uns des autres, au nom de l’innovation. En tant que tels, plutôt que de stimuler l’innovation, ils pourraient en réalité la tuer.
Un lab pour tuer l’innovation
Les programmes d’innovation dédiés paraissent être indispensables pour de nombreuses entreprises d’aujourd’hui. Par exemple les projets d’incubateurs et d’accélérateurs privés ou publics sont toujours plus gros et plus nombreux. Au rythme où vont les annonces et après la Poste, PSA, GRDF, Orange, ma compagnie d’assurance, Hermes, TF1, Norauto, mon journal, ma grande surface ou encore Marc Dorcel, seul le serrurier de mon quartier semble ne pas avoir créé son incubateur.
Les tendances de fond qui produisent ce phénomène sont bien réelles et l’Open Innovation est autre chose qu’un simple phénomène de mode : « seul le serrurier de mon quartier n’a pas encore créé son incubateur »les produits et services sont de plus en plus complexes, le rythme de mise sur le marché des nouveautés s’accélère, les connaissances deviennent des commodités de plus en plus facilement accessibles, les marchés sont immédiatement mondiaux, les comportements des consommateurs erratiques, …
Mais les budgets énormes déversés par toutes ces initiatives sont-ils toujours justifiés ? Est-ce qu’il suffiront pour éviter la grande peur d’aujourd’hui, le risque « d’être disrupté » ? Ne font-ils pas parfois pire que mieux, contribuer à réduire les capacités à innover et à tuer l’innovation.
Une stratégie d’innovation pour frimer ?
On l’a dit tellement souvent (et ce blog n’est pas en reste) : l’innovation est devenue absolument centrale dans le monde économique d’aujourd’hui. Grands groupes bien sûr, mais également PME et TPE, tout le monde sait que le danger de la disruption est partout, que les startups sont là, prêtes à piquer leur part de marché aux entreprises installées. Pour y arriver, les entreprises font ce qu’elles savent faire : elles prennent des renseignements, font « du benchmark » et écrivent des process, en s’inspirant de ce qui leur parait être les meilleures pratiques. Elles déploient donc beaucoup d’efforts pour écrire une meilleure stratégie d’innovation ou lancer un meilleur programme d’innovation que leurs concurrents.
« On met des gens cools dans une équipe isolée et on pense que l’innovation va apparaitre »La plupart du temps, cela se traduit par l’identification d’un département ou d’une équipe, relativement isolés au sein de l’entreprise et en charge de l’innovation. On y met des gens compétents et plein de process, on leur demande de se connecter avec leur écosystème de startups ou d’écoles, on les installe dans un lieu cool, on reprend quelques « codes startups » de management comme le petit-déjeuner bio gratuit ou le baby-foot, on y adopte le sabir utilisé par les technophiles hipsterisés et … on pense que ça va marcher, que l’innovation va apparaitre.
Innovation washing, pour quel résultats ?
Les performances des programmes d’innovation font pour le moins l’objet de controverses. Beaucoup de ces programmes n’ont rien donné de concret et de nombreux consultants ou experts se demandent même s’il faut en lancer. Afin de se donner des airs d’entreprises innovantes, certaines d’entre elles ne font que de « l’innovation washing » : elles adoptent les codes des startups et, surtout, font beaucoup d’efforts de communication pour donner l’illusion de leur performance sur le sujet. C’est ce qu’on appelle le théâtre de l’innovation. Les buzzwords fleurissent et tout le monde les adopte rapidement, de peur d’être dépassé. Si vous avez un compte LinkedIn, vous avez sûrement l’impression que tout vos contacts sont ces dernières années devenus « innovation director ». LinkedIn est sûrement la plateforme la plus sensible aux modes managériales.
L’innovation n’est pas un coup marketing qu’une entreprise opère pour rassurer ses actionnaires. Elle n’a rien à voir avec la communication mais est une activité continue d’expérimentation qui concerne TOUS les collaborateurs.
Tous les collaborateurs ou rien
Si votre programme d’innovation ne repose que sur un service ou une petite équipe dédiée, arrêtez le tout de suite ! Il va être extrêmement dommageable à la culture d’innovation globale de votre entreprise. En effet, avec une telle organisation la plupart de vos collaborateurs vont être exclus des processus d’innovation. L’époque a changé : tout le monde observe, est connecté, est formé et peut avoir des idées et participer à la conception des nouvelles offres de l’entreprise.
Si un collaborateur est exclu, il est probable qu’il en nourrira en plus rancune ou démobilisation. Et comment lui en vouloir si la conception, l’invention, le boulot sympa lui est refusé au profit d’une petite équipe fonctionnant quasiment en autarcie ? En créant un lab, un incubateur interne ou ne direction innovation, il y a fort à parier que vous ne faites que détruire la culture d’innovation que vous essayez péniblement de construire dans votre entreprise. Tout ça pour ça …
« Comment ne pas être démobilisé si tout le boulot fun est confié à une équipe isolée »La culture d’innovation, c’est réussir à faire en sorte que tous les collaborateurs de l’entreprise soient impliqués dans les processus d’innovation. Les sources d’innovation sont partout : le service commercial ou le bureau d’étude bien sur, mais aussi le service administratif, les achats, la logistique, le juridique, … Les entreprises sont assises sur des tas d’or qu’elles se refusent à exploiter, tellement il est plus valorisant d’ouvrir un lab ou un incubateur et de dédier un gros budget à la politique d’innovation.
Tout ceci étant dit, il n’est pas simple de faire en sorte que chaque employé s’implique dans les processus d’innovation de l’entreprise. Je ne crois pas trop aux outils, plateformes, intranets ou applications mobiles sensés donner envie comme par magie à tout le monde de s’impliquer. Tous les efforts doivent plutôt être portés vers le management et la culture de l’entreprise. Les collaborateurs doivent sentir que leurs idées comptent, qu’elles sont prises en compte et valorisées, et qu’il n’y en a pas de mauvaises.
Pour en savoir plus
Créer un innovation center : la réponse des grands groupes ?
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2 commentaires sur “Tuer l’innovation dans votre entreprise, c’est simple !”
Bonjour Jean Pierre,
Merci pour cet article très intéressant et engagé. Il n’est pas toujours facile de sortir du consensus et de proposer un vrai point de vue. Bravo pour ça !
Pour apporter un autre éclairage, il faut aussi dire qu’il n’est pas toujours facile de gérer des projets d’innovation lorsqu’on est noyé par le court terme et les urgences. Même si l’innovation est appréciée à juste titre comme une priorité pour la survie d’une entreprise, il n’en reste pas moins que souvent l’urgence l’emporte sur le projet plus lointain … Ce n’est pas inéluctable mais cela arrive souvent. Et dans ce cas, on comprend parfois le besoin de faire travailler des personnes dans un environnement préservé du tumulte de la vie de l’entreprise.
En réalité et comme toujours, c’est un équilibre à trouver…
A très bientôt,
Laurent
du blog http://www.innover-malin.com
Bonjour Laurent,
bien sur tu as raison, tout est affaire d’équilibre. Je vois tellement de cas « d’innovation washing » et de programmes d’innovation dont la prétention des responsables est proportionnelle à leur manque de résultats qu’il est possible que j’aie un peu forcé le trait. 🙂
Comme tu le dis, l’important est d’avoir un point de vue et de l’argumenter. C’est ce qui permet l’échange et un débat constructif.
Très très beau blog que le tien 🙂 ça donne envie de collaborer!
Bravo