Burning man, le festival emblématique d'un esprit innovant à développer ?

Une silicon valley en France ? Moins de stratégie, plus d’anarchie !

La Silicon Valley reste dans l’esprit de beaucoup d’acteurs du développement économique le Graal de la réussite, la clé de l’emploi et de la valeur ajoutée. Et c’est avec des listes de critères impressionnantes que l’on scrute à la loupe l’économie de la Silicon Valley afin de savoir si il ne manque pas trop d’argent ici ou si l’on a bien la masse critique de chercheurs là ou encore le territoire configuré comme il faut. Combien de fois des territoires en France ou en Europe nous ont été présentés comme les « modèles de la Silicon Valley » ? Nous allons avoir bientôt le plus gros incubateur du monde à Paris et Paris ne sera toujours pas la Silicon Valley française mais probablement (ce qui est déjà beaucoup) « the place to be » pour les startups européennes et peut être celles de la planète entière. On ne « fabrique » pas la Silicon Valley en la décrétant sur un territoire donné.

La Silicon Valley ne se décrète pas

Seules 3 des 150 licornes du monde sont françaises. La plupart de la silicon valley.
Seules 3 des 150 licornes du monde sont françaises

En dehors du fait que certains territoires hébergent au mieux une concentration d’industries, de PME, d’écoles et de laboratoires de recherche, on continue à chercher désespérément l’Apple, l’Intel, le Google ou le Hewlett Packard Français. Il y a plus de 150 licornes dans le monde et seulement 3 en France. Nos dispositifs n’auraient-ils pas tenus leurs promesses ? Pourtant tout a été fait pour favoriser l’implantation de créateurs dans bien des régions, à commencer par le bien-vivre dans de nombreux endroits en France puisqu’il paraît que c’est ce que regardent en premier les investisseurs étrangers… Non, ne sourions pas trop vite ; il y a des territoires en France qui disposent réellement de presque toutes les composantes visibles présentes dans la Silicon Valley. Alors pourquoi le fait de souhaiter qu’un jour il y ait une vraie Silicon Valley en France (au sens des résultats en matière de développement économique) est, et restera probablement encore pour quelques temps un vœu pieux ou au mieux de la science fiction ? Pourquoi se leurre-t-on en pensant qu’en rassemblant sur un territoire tous les types d’acteurs présents dans la Silicon Valley on peut faire de ce dernier un véhicule de la croissance économique locale, et donc régionale puis nationale ?

Tous simplement parce que la Silicon Valley est bien plus qu’un territoire attractif avec un regroupement d’acteurs complémentaires de la chaîne de l’accélération d’entreprises. La Silicon Valley, c’est un « état d’esprit ». La Silicon Valley n’est pas une manière de faire, c’est une manière d’être, c’est une manière de voir le monde et de le comprendre en opposition aux courants dit « mainstream ». La Silicon Valley est une collection de personnalités décalées avant d’être une collection d’acteurs économiques.

Le festival burning man
Le festival burning man

L’innovation n’est définitivement pas quelque chose que l’on peut décréter au travers de politiques territoriales. La Silicon Valley non plus. Les politiques publiques peuvent donner à l’innovation un terreau pour pousser, mais ce sont les hommes qui vont faire l’innovation. Et justement ces hommes et ces femmes sont avant tout des créateurs qui savent penser « out of the box » et ils/elles se sont tous nourris à un moment ou un autre du Zeitgeist et de la contre-culture qui régnait et règne encore, en particulier, en Californie. Un témoin de cela est l’explosion des « firsts time participants » à Burning Man (voir le site www.burningman.com). De plus en plus d’entrepreneurs du Web, de designers en tous genres, de chefs d’entreprises californiens, américains et même français, de chercheurs vont participer au milieu du désert du Nevada, sous 42° à l’ombre, pendant une semaine à un évènement de pure créativité pour se nourrir d’une expérience en total décalage avec leur vie quotidienne : plus d’argent en circulation, chacun est là pour mettre en commun, pour apporter quelque chose et va recevoir quelque chose dans une démarche totalement participative, conduite civique exemplaire imposée, développement durable mis en pratique, etc …. On ne « fabrique » pas la Silicon Valley en la décrétant sur un territoire donnéIl est bien sûr interdit de brider la créativité de chacun des participants. Un des prix Nobel 2013 est un « Burner ». C’est un américain, issu de Standford, bien entendu, qui a commencé ses travaux en 1970, comme par hasard, en pleine explosion de la contre-culture en Californie.

Écosystèmes d’innovation. Pourquoi ça foire ?

Faut-il encore citer TED (pur produit Californien) et ses déclinaisons où l’on trouve aujourd’hui l’inspiration pour l’innovation ? Ou encore SXSW, Texan et totalement débridé avec une organisation parfois approximative, mais dans un esprit similaire ? Et dans une autre mesure LIFT à Genève moins débridé, avec une organisation helvète, mais tout aussi inspirant pour le développement économique (n’oublions pas que la Suisse a été souvent la championne européenne de l’innovation) ?

Voilà pourquoi, il est illusoire de croire que l’on peut « dupliquer la Silicon Valley » en France. Dans une société française dominée par trop de bureaucratie et par des élitismes qui ne laissent aucune place même minime à toute forme d’anarchie, il est impossible de penser que l’on puisse devenir des champions de l’innovation, ni de la croissance par l’innovation selon les normes de la Silicon Valley tant que nous ne deviendrons pas des « burners » dans l’esprit.

Devenir des « burners »

Il est donc urgent d’ouvrir les portes de lieux où vont pouvoir s’exprimer des créateurs qui seront les innovateurs de demain. C’est le devoir des pouvoirs publics, dans le cadre des politiques d’innovation de favoriser l’émergence de créativité collaborative en rupture totale avec la société mainstream, et accepter que ce qui va en sortir ne soit pas conforme à ce que l’on attend, mais pas moins porteur de valeur ajoutée. Certes, je reconnais que nous avons probablement une des meilleures recherches publiques du monde et je m’en réjouis, des ingénieurs que l’on s’arrache jusque dans la Silicon Valley et je m’en réjouis également. Mais quand donnerons-nous les moyens aux chercheurs qui font consciencieusement leur travail de décloisonner leurs recherches et de les confronter d’une manière débridée avec des créatifs et des designers ?

Dans ces temps où « trouver » pour un chercheur va devenir, pour cause de pluridisciplinarité, de plus en plus difficile, il est urgent de leur donner des lieux et des temps d’inspiration en décalage total avec leur environnement. Il en va de même pour nos jeunes chefs d’entreprise ou pour nos créateurs du numérique : amenons les sur des « terra incognita », des « déserts », où leurs repères (les financements publics, les business plans, les accompagnements de toutes sortes, les filets de sécurité, …) auront disparu et où ils seront obligés de penser autrement et de partager pour s’en sortir. Je plaisante à peine lorsque je suggère que l’on devrait leur organiser des sessions de formation sur l’apparition de la musique punk, du jazz rock, ou encore sur l’émergence du mouvement hippie ou des Rainbow People dont des évènements comme Burning Man sont des résurgences !

Demain, tous des burners ?
Demain, tous des burners ?

J’ai failli oublier…. Burning Man, qui est un évènement piloté par et pour des créatifs, est considéré par ses participants comme le meilleur endroit sur la planète pour faire de l’expérimentation sociale ou technologique des innovations. A quand un évènement de ce type en France ? En Europe peut être ? On a déjà, et on va avoir des TEDx, et c’est tant mieux, mais il nous faudra probablement aller plus loin, sinon, pardonnez-moi, mais nous risquons tout simplement de crever des schémas de développement économique dans lesquels nous avons collectivement enfermé l’innovation.

La Masse Critique est la clé de la « Scalability »

C’est vrai je n’ai pas parlé de la fameuse « masse critique » de la Silicon Valley, masse critique de chercheurs et de startups que l’on décrit comme étant une des conditions de la réussite du développement économique. Il est certain que l’émergence de « scalable business models » porteurs de grosse valeur ajoutée tient au fait que de nombreuses startups soient concentrées sur un territoire autour d’un grand nombre de chercheurs et d’étudiants. Le succès appelle le succès et c’est parce qu’il y a eu des entreprises avec des entrepreneurs qui ont osé et qui ont réussi que le mythe a commencé à émerger autour de cet état d’esprit très particulier. Le champ des possibles s’est brutalement ouvert avec leurs succès et le mythe de la réussite et le rêve étaient à nouveau incarné. C’est ainsi que les entrepreneurs ont commencé a penser qu’il y avait au sud de San Francisco comme un Graal que l’on pourrait toucher (avec une solide part de mysticisme non avouée), afin d’être transformé et changé en ceux qui ont ouvert le chemin. Le succès serait bien sûr au rendez vous et il l’est toujours avec une capacité phénoménale à se réinventer en permanence. Voilà pourquoi je ne crois pas que l’on puisse décréter une Silicon Valley en plein Paris ou n’importe ou en France, n’en déplaise à ceux qui pensent le contraire.

Nous risquons tout simplement de crever des schémas de développement économique dans lesquels nous avons collectivement enfermé l’innovationIl y a 3 ou 4 ans j’ai été marqué par un comité de sélection de projets technologiques et sociétaux. Il y avait là un artiste qui s’était lancé dans un projet très original de réseau social, en complet décalage avec ce qui existait, un projet très collaboratif au sens où les utilisateurs construisaient l’application et les services. Il était sûr de lui, et lui-même en décalage total avec l’image qu’on se fait du porteur de projet. Il y avait visiblement de la désinvolture et une forme d’anarchie dans son approche et dans sa façon d’être. J’ai été séduit. On m’a expliqué que comme il n’avait pas de business model qui tenait la route on ne pouvait pas l’accepter. Je suis pourtant un fervent défenseur du « Comment-vas-tu-gagner-ton-argent-avec-ton-innovation-et-quelle-est-ta-VA-? », mais dans ce cas précis ce n’était pas le propos. Je suis convaincu qu’il fallait penser autrement. Le business model aurait été discuté de toute façon à un moment ou un autre, mais plus tard. Il fallait juste donner un coup de pouce à ce projet, quitte à ce que le résultat ne soit pas tout à fait ce que l’on soit en droit d’attendre selon nos critères habituels. Dommage. Une prochaine fois peut être…

Pour en savoir plus

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