Avez-vous un job de merde

Avez-vous un job de merde ?

Tout le monde connait l’expression « job à la con » ou « job de merde ». Si cette expression a eu un tel succès, c’est parce beaucoup de salariés ont aujourd’hui le sentiment d’exercer un métier dénué de sens ou d’utilité et qu’elle a permis de mettre un nom sur un phénomène devenu massif. C’est l’anthropologue et économiste américain et anarchiste David Graeber qui a popularisé la notion de « Bullshit Job » dans un ouvrage devenu célèbre et sorti en 2013 aux États-Unis. Manque de sens, sentiment d’inutilité, tâches de plus en plus parcellisées et déconnectées de leur finalité pratique, numérisation des rapports humains, … les raisons qui poussent un nombre croissant d’employés de bureaux à ne plus voir dans leur travail qu’un moyen de survie économique sont nombreuses. Malheureusement mort en septembre 2020, David Graeber nous a fourni un cadre conceptuel riche et détaillé pour mieux comprendre les différentes facettes d’un job de merde. Parce que les jobs de merde sont de plusieurs types, plongeons-nous dans la description proposée par David Graeber pour faire le point et découvrir si notre travail est un « job de merde ».

Un job qui « n’apporte rien à la société » …

David Graeber

Vous êtes-vous déjà demandé à quoi servait vraiment votre travail ? Eu des difficultés à expliquer à vos amis en quoi il consistait ? Vous êtes vous dit « j’aurais dû être infirmier ou ébéniste, au moins j’aurais su pourquoi je vais travailler » ? Toutes ces questions et bien d’autres peuvent être le signe que vous exercez un « job à la con ». Ce sont plusieurs études d’opinions publiées au début des années 2010 au Royaume-Uni et aux Pays-Bas qui ont décidé David Graeber à travailler sur ce sujet. Selon ces études, 37% à 40% des personnes interrogées étaient convaincues que leur travail n’apportait pas quelque chose d’important au monde.

Attention, la question n’est pas vraiment ici de savoir si les personnes aiment leur travail mais si elles considèrent que ce travail est utile ou a de l’intérêt pour la communauté. Quand on exerce un « job de merde », celui qui l’exerce finit par s’en rendre compte, parfois confusément. Cette prise de conscience peut parfois être si douloureuse qu’il devient impossible de continuer à exercer ce travail. Dans d’autres cas, le salarié peut s’accommoder de la situation et trouver, en dehors de son travail, les sources d’un équilibre.

Un job de merde est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien.

Définition d’un job de merde selon David Graeber

La vision de David Graeber est pessimiste et cynique. Il explique en effet que, si les gains de productivité n’ont pas conduit à des semaines de travail de 10 ou 15 heures comme le prévoyait Keynes dans les années 30, c’est parce qu’un nombre très important de nouveaux métiers inutiles occupent les masses laborieuses, empêchées ainsi de se révolter mais reconnaissantes d’être occupées.

Après plusieurs années de recherche, d’interviews et d’analyses, notre anthropologue a dégagé 5 catégories de jobs à la con. Cette liste est, de l’aveu même de M. Graeber, incomplète et vous pourrez peut-être trouver vous-mêmes d’autres caractéristiques de tels postes. De même, il est possible que vous vous retrouviez dans plusieurs catégories à la fois (et là, vous n’avez vraiment pas de chance !).

Les larbins

Ce type de poste permet à l’entreprise d’afficher des signes extérieurs d’importance. David Graeber les appelle les « flunkies », les laquais, car ils aident leur « maître » à se sentir important. Réceptionnistes tirés à quatre épingles qui n’accueillent personne ou presque, adjoints qui n’ont d’autre véritable fonction que de montrer que l’importance du poste de leur supérieur nécessite la présence d’un adjoint, « bras droits » aux missions floues qui assistent et aident leur hiérarchique, …

37% à 40% des personnes interrogées sont convaincues que leur travail n’apporte pas quelque chose d’important au monde

Les exemples les plus évidents de ce type de bullshit jobs semblent avoir disparu (les portiers, les grooms, certains majordomes, …) mais il n’en est rien. Le besoin de respectabilité est toujours aussi fort, et même de plus en plus à mesure que la richesse se concentre aux mains d’un nombre restreints d’individus et d’entreprises en quête désespérée de prestige et d’honorabilité .

Les sbires, les gorilles, les porte-flingue …

Ce sont ceux que Graeber appelle les « goons » (les « hommes de main »). Ils blessent, violentent ou trompent au nom de leur employeur ou bien n’existent que pour contrer les porte-flingue des concurrents.

Aurions-nous besoin d’investir autant en communication ou en relation publique si nos concurrents investissaient moins de leur côté ? Aurions-nous besoin d’autant d’avocats d’affaire ou de marketeurs ? Bien sûr que non. En plus de comprendre une dimension agressive et souvent manipulatrice, ces postes ne sont rendus indispensables que parce d’autres les considèrent comme tels. Comme avec la dissuasion nucléaire, nous ne pouvons qu’assister impuissants à l’augmentation du nombre de bombes inutiles.

D’après Graeber, nous allons donc retrouver dans cette catégorie les lobbyistes, les experts en relation publique, les communicants, les employés des centres d’appel, les avocats d’affaire, les community managers, …

“Les rafistoleurs”

Graeber les nomme « duct tapers », du nom du duct tape (ou duck tape), ce ruban adhésif censé réparer de façon temporaire les objets cassés.

Le « duct tape »

Les duct tapers réparent de façon temporaire les choses qui devraient être réparées de façon définitive. Ils rafistolent, bricolent et remettent en place ce que les autres dérangent ou dérèglent. Secrétaire qui passe son temps à appeler les clients de son médecin spécialiste qui annule sans cesse ses rendez-vous, service informatique qui corrige sans cesse les mauvaises pratiques, les erreurs de manipulation des collègues ou du code mal conçu à l’origine, personne chargée de résoudre les problèmes causés par ceux qui n’ont pas suivi les procédures, … Les rafistoleurs réparent les problèmes qui normalement ne devraient pas exister.

Les cocheurs de case

Les « box tickers » en version originale, c’est-à-dire tous ceux qui permettent à une organisation de prétendre faire quelque chose qu’en réalité elle ne fait pas. A quoi pense Graeber avec cette catégorie ? A tous ceux chargés d’organiser des enquêtes internes, aux Chief Happiness Officers, aux responsables de magazines internes et même aux services qualité …

Les cocheurs de cases contribuent à améliorer l’image de l’entreprise sans réellement l’améliorer elle. Si vous remplissez régulièrement des formulaires ou préparez de magnifiques PowerPoints que personne ne lit vraiment … vous êtes peut-être dans cette catégorie.

Les petits chefs

Dernière catégorie mais certainement celle qui parlera parlera à tous, car nous y avons tous été confrontés au moins une fois. David Graeber les appelle les « taskmasters » en anglais. On pense bien sûr spontanément aux personnes acariâtres, manipulatrices et souvent incompétentes que le hasard a choisi de placer au-dessus de nous dans la hiérarchie. A quoi les reconnait-on ? Ils cachent souvent l’inconfort de leur position d’inutilité par beaucoup de bruit et d’agitation et donnent à leur collaborateurs des missions à la con. Ils multiplient le microcontrôle et les tâches sans intérêt, contribuant activement à « bullshitiser le boulot des autres ».

Et vous ? Comment est votre boulot ?

Aucun boulot n’échappe complètement à ces catégories et la démarche de David Graeber n’a pas pour but de désigner avec arrogance les jobs à la con. Pour peu qu’on prenne le temps de lire son livre, on découvre en fait que l’auteur cherche à aider ses lecteurs à se poser les bonnes questions s’ils en ressentent le besoin.

Si vous êtes heureux avec un job que David Graeber désigne comme un job de merde, soit. Gardez-le, personne n’est là pour vous dire ce qu’il faut faire. Mais si vous vous sentez mal et pas en accord avec votre travail, la grille de lecture fournie par l’anthropologue peut vous aider à comprendre pourquoi et, qui sait, à sauter le pas pour trouver un travail plus en accord avec vos attentes.

Un job de merde ? le test !

Les Cahiers vous proposent un test complet pour découvrir comment se situe votre travail sur l’échelle du « job à la con ». essayez de répondre avec le plus d’honnêteté possible à cette question !

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