Responsable innovation, directeur des rêves ?

Qu’il soit appelé directeur ou responsable innovation, directeur du changement, responsable de l’adaptation ou même directeur des rêves comme chez Estée Lauder, certaines entreprises ont décidé de mettre dans les mains d’une personne la responsabilité de l’évolution de leur offre. Les études et sondages semblent le montrer : le rôle des responsables innovation est de plus en plus affirmé dans les entreprises, y compris les (grosses) PME. Le thème de l’innovation tout d’abord est porteur. Aucune entreprise d’une certaine taille ne veut donner l’impression qu’elle ne s’intéresse pas au sujet. Recruter un responsable innovation est alors une des façons les plus simples et les plus claires d’affirmer cet intérêt.

Au-delà de ce phénomène d’innovation washing, l’engouement est cependant bien réel : selon le dernier baromètre Act One-HEC, le budget moyen accordé à l’innovation a augmenté de 50,6 % en 2013 et les effectifs de 12,2 % dont un tiers de création de postes. La moitié des grandes entreprises a créé cette fonction et le « directeur de l’innovation » occupe une place de plus en plus centrale. Près de 20 % d’entre eux siègent désormais au comité de direction, un chiffre qui a doublé en trois ans. D’après Brice Challamel (Act One-HEC), la mutation culturelle est donc en marche : « le directeur de l’innovation est aujourd’hui aux nouvelles idées ce que le DRH est devenu aux salariés des grandes entreprises. Son rôle ne se cantonne plus aux seules questions administratives et légales, comme la gestion de la propriété industrielle ».

Directrice des rêves

nouvel intitulé de poste de la Directrice de l’Innovation chez Estée Lauder

Évidemment, plus la taille de l’entreprise est réduite et plus la fonction de directeur ou responsable innovation se confond avec d’autres (directeur de la R&D, CTO -Chief Technology Officer-, directeur du Marketing, du numérique ou encore de la Stratégie) voire avec le dirigeant de l’entreprise lui-même. En Chine, le directeur de l’Innovation a un poids croissant : il est tout simplement considéré comme… le futur PDG de son entreprise (le dernier plan quinquennal du gouvernement chinois imposait aux grands groupes de créer une Direction de l’Innovation) ! Le nouveau nom tendance de la fonction sur les cinq continents : Chief Innovation Officer !

De quoi s’occupe un responsable innovation ?

Si le responsable innovation s’occupait principalement à l’origine de veille technologique ou d’organiser des concours internes pour favoriser l’émergence d’idées et la collaboration entre les différentes unités, son rôle a maintenant bien changé. Au carrefour de la recherche, de la veille technologique et des systèmes d’organisation, les responsables innovation interrogés dans le sondage Act-One HEC définissent leurs missions de la sorte :

  • Veille et prospective (78 %)
  • Orientation et mise en place de la stratégie (70 %)
  • Mise en œuvre du marketing (68 %)

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La fonction n’est plus du tout l’apanage des grandes entreprises. On observe en effet une percée de la fonction dans les petites entreprises et dans les start-ups, ainsi que dans les collectivités ou opérateurs publics (la ville de Londres recherche par exemple un Directeur de l’Innovation pour… sa police !). Voir par exemple cette interview de Reynald Chapuis, directeur de l’innovation et de la Responsabilité Sociale et Environnementale à Pôle emploi.

Les missions du responsable innovation sont multiples et transverses, avec une attention croissante aux missions suivantes :

  • diffusion de la culture de l’innovation dans l’entreprise,
  • anticipation de l’évolution du business model à moyen/long terme,
  • gestion de projets transverses en synergie,
  • intégration des technologies numériques dans des nouveaux produits/services à forte valeur ajoutée pour les utilisateurs.

Comme si cela ne suffisait pas, la fonction innovation requiert de plus en plus de bonnes connaissances anthropologiques et des approches centrées sur l’humain. La question des usages est bien sur centrale. Eric Conti, Directeur de l’Innovation et de la Recherche à la SNCF, insistait sur ce point, en rappelant que OuiGo, IDbus et les pianos en gare (« à vous de jouer ») sont des innovations tirées de la compréhension de nouveaux usages, d’une démarche centrée non pas sur la technique, mais sur les utilisateurs. L’expérience des personnes à mobilité réduite inspire aujourd’hui de nouveaux services pour l’ensemble des voyageurs, qui connaissent tous à un moment des difficultés de mobilité (encombrement avec les bagages, poussettes d’enfants…).

Le tout bien sur dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint : la frugalité est ici aussi le maître mot.

Quel est le profil du responsable innovation ?

Fonction intermédiaire entre l’ingénieur et les équipes de vente, le directeur de l’Innovation, véritable clef stratégique, définit les grandes orientations de la politique d’innovation, accompagne la croissance et participe ainsi pleinement à l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise. À cette fin, il échange en permanence avec un grand nombre d’acteurs, tant internes qu’externes. Son profil a changé ces dernières années : 34% d’entre eux viennent encore de l’univers de la technologie et de la R&D, mais les directeurs issus des milieux du numérique, du management et de la stratégie sont de plus en plus nombreux (ceux issus du marketing sont en nombre stable).

moutons à 5 pattes

À la fois leader et moteur, il se pose également en créateur de valeur pour l’entreprise et pour ses ses clients. Ses qualités ? Le pragmatisme, le sens de l’anticipation et la diplomatie. Pour ce faire, il fait preuve à la fois d’un savoir-faire méthodologique rigoureux et d’une gestion de projet éprouvée grâce à des connaissances scientifiques et technologiques pointues. L’innovation se définit avant tout comme un état d’esprit plutôt que comme l’acquisition de techniques, rapidement dépassées. Le management de l’innovation implique une gestion et surtout une mobilisation de systèmes organisationnels complexes soumis à une poussée technologique permanente. Une fois ce profil improbable dressé, on est forcément un peu démuni devant le nombre de pattes de ce mouton.

Le responsable innovation au cœur de l’Open Innovation

Comme nous l’avions vu dans plusieurs billets précédents (voir par exemple cette interview d’Olivia Lisicki), l’inscription de la stratégie d’innovation de l’entreprise dans le contexte plus large de toutes ses parties-prenantes (clients, start-up, utilisateurs, …) est devenu centrale. Pour Eric Conti, « l’innovation se construit avec les clients, les acteurs institutionnels, plus largement les stakeholders » évoquant notamment les Hack Days de la SNCF à l’origine de nouvelles applications de mobilité.

Même expérience pour Bernard Haurie (ex Directeur Innovation, Stratégie, Prospective du groupe La Poste et désormais Directeur Général adjoint de Geopost) : « ouvrir nos actifs aux tiers est une vraie révélation ; nous avons été beaucoup plus vite pour la création et le développement de nombreuses activités ». Aujourd’hui, La Poste ouvre notamment ses données aux start-ups pour la recherche de voies nouvelles sur revoir ses processus de production et de livraison. « La collaboration avec l’externe est décisive », rappelait Jean-Christophe Simon, Senior Vice-President Chief Innovation Officer du groupe SEB, en s’appuyant sur l’exemple du Steampod co-conçu avec L’Oréal.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Votre entreprise doit innover davantage et cela passe par le recrutement d’un responsable innovation ? Comment trouver la bonne personne ? Quel périmètre exact donner à sa mission ? Autant de questions en grande partie encore ouvertes. Vous pouvez également participer à ce forum dédié au management de l’innovation (et en particulier au « responsable innovation ») afin de donner votre avis sur ces sujets.

A noter également, les liens utiles suivants :

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